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La Vie nouvelle (c) D.R. LA VIE NOUVELLE
de Philippe Grandrieux
Par Gilles LYON-CAEN


SYNOPSIS : Seymour, un jeune militaire américain en poste au Kosovo, est envoyé en permission pendant trois jours à Sofia. Le voyage se fait de nuit en bus. Il est accompagné de Roscoe venu négocier l'achat d'hommes et de femmes. Seymour loge avec d'autres soldats à l'hôtel Rodina, une sorte de bordel d'Etat de vingt étages.

Dans l'établissement, il fait la rencontre de Mélania, une très jeune prostituée ukrainienne. Seymour veut la sortir de là, l'emmener avec lui, l'envoyer aux Etats-Unis où il la rejoindra. Il compte la racheter à son mac, Boyan, un homme d'affaires qui dirige une grosse entreprise d'essence de rose située dans "la Vallée des Roses", près de Sofia. C'est son activité officielle, sa couverture dissimulant ses agissements criminels. Le prix à payer sera néanmoins terrible, puisqu'il devra trahir Roscoe. Seymour acceptera pourtant le marché...

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POINT DE VUE

  La Vie nouvelle (c) D.R.
Hypothèse : avec La Vie nouvelle, on tient enfin le film-somme de l’avant-garde française. On assiste à un film-monde. Or, il vient d’un ordre qui n’existe pas (en salles, mais plutôt hors système). Comment prône-t-il le chaos tout en faisant table rase du pacte commun de réception ? Ce qui passionne ici est ce qui trouble : ceux qui n’en veulent pas, en général, le feront par pur acte de rejet, refus de toute forme contestataire (qu’on se gardera bien de considérer, avant de l’exhumer plus tard). Impossible de ne pas ressentir le film : on soumet le spectateur à une expérience qui doit, littéralement, le traverser. Tout réside dans la tentative, la recherche figurative qui s’affranchit, après y avoir puisé une essence, de mini-genres, boîte à écrins comme boîte à rêves ou cauchemars : ici (conte horrifique dans Sombre) et là (allégorie d’un non-lieu dans La Vie nouvelle) ne subsiste de la trame que traces, oxygène, restes de vie, sensations. Il fallait, ensuite, une multitude de faux-départs, de blocs asthmatiques et d’espaces sonores saturés, véritable usine d’expérience sensitives, pour que naisse, horrible et magnifique, La Vie nouvelle.

Il existe une genèse du film, en dehors de son prélude Sombre. Car La Vie nouvelle vient d’ailleurs : le génie du film, après avoir (sur)vécu longtemps dans les souterrains du cinéma, caves immondes et lieu du refoulé, est d’ériger, à la face de tous, un panégyrique du nouveau et du sensoriel. Flou de l’histoire, peu de paroles, quelques mots en anglais : La Vie nouvelle préfère se taire. Flou de l’image, boucle d’espace vide ouverte sur elle-même : plus précisément le début d’une ressemblance avec un no man’s land sans ethnie précise (mais à l’Est), finalement vie nouvelle post-chaos, au-delà du temps et des frontières. Pas de commencement en soi, encore moins de fin. Pour apprécier La Vie nouvelle, il ne suffit pas de se placer comme Philippe Grandrieux contre la norme actuelle, contre le pacte de vision dominante. La folie du film réside dans le fait qu’il exige sans doute ce que lui-même ignore. Ce qu’il met en saillie est aussitôt soumis à l’ouïe ankylosée, à la rétine lourde et lacérée du spectateur, pour lire incrusté dessus sa griffe ultime, son hallucination abusive, sa vision horrifiée. Il faut respecter l’exigence du cinéaste qui prend moins la main du spectateur, qu’il ne lui demande de plonger dans un grand bain sonore, souvent en apnée. Il en émane ; au creux d’efforts aussi pénibles que nécessaires, efforts se transmuant en une débauche de laisser-allers suspensifs ; de splendides accès de fureurs, alternance de crises impulsives et de traversées solaires hypnotiques.