Alain Cavalier, le cinéaste
qui donnait des rendez-vous. Aux personnes qu’il filme, aux
spectateurs qui vont voir ses films. Des rendez-vous invisibles
et mystérieux, intimes et muets.
La dernière fois qu’on avait rencontré un film
d’Alain Cavalier, c’était à l’occasion de Vies
chuchotées à la première ou deuxième
personne, à la rencontre de héros du quotidien
pratiquant de petits arrangements avec la vie, avec la mémoire,
avec l’art, avec la mort.
René, nouveau long-métrage du cinéaste,
pourrait en être le prolongement. Une vie s’ajoutant
aux autres. Celle d’un homme qui aimait manger. Bifteck, plateau
de fromages plutôt copieux. Arrosé de verres
de vin tout aussi impressionnants. Cet homme est gargantuesque,
155 kilos à la pesée.
Manger, boire avant d’accuser le coup : René devient
seul du jour au lendemain. Sa femme l’a quitté, laissant
une simple enveloppe sur la table. N’expliquant rien pour
autant. René se décide alors à se prendre
en main, il va maigrir, c’est décidé. Boire
de l’eau, manger du thon, du jambon, faire des haltères.
Perdre des graisses pour tenter de récupérer
sa moitié.
Une vie de René, moments intimes
et publics d’un homme affecté. René-Sens en
1h25. La voix d’Alain Cavalier, très présente
dans ses deux précédents films, s’est cette
fois tue. Au profit d’un personnage filmé avec empathie,
dans son entièreté, sa drôlerie, son émotion.
René, c’est le portrait d’un homme en fuite, tentant
de rejoindre un autre corps, une autre vie. On finit par n’avoir
que faire du suspens des kilos disparus ou non. Ce qui nous
intéresse, ce qui passionne aussi Cavalier, c’est bien
autre chose. C’est la tentative de percer la chair d’un homme,
(son visage, sa peau, son dos, etc), d’épouser les
contours d’une vérité humaine bien complexe.
D’autant plus complexe que René (le film) est
autant une pure fiction qu’un documentaire sur un comédien
(membre d’une compagnie théâtrale de Rouen),
Joël Lefrançois, apparu fugitivement autrefois
en médecin dans Thérèse de Cavalier.
Difficile de départager le " vrai "
du fabriqué. Cette ambiguïté fait la force
du film, mais aussi peut-être sa faiblesse (la scène
où René demande sa part d’héritage à
sa mère sonne faux par exemple, sans qu’on puisse pour
autant déterminer si cette impression vient des comédiens,
de la situation elle-même ou de la mise en scène).
On finit toutefois par ne plus se poser de questions, tant
cette indétermination est une question vaine. René
comme personnage de cinéma charismatique et présence
humaine (é)mouvante finit par s’imposer. René
(le film) devient alors une expérience de cinéma,
où ce qui paraît avoir été prévu,
fabriqué, mis en scène dans le cadre d’une
fiction presque traditionnelle, se retrouve submergé
par l’échappée solitaire d’un homme qui reconquiert
sa liberté. Cela se traduit par des regards happés
au passage, des gestes pas toujours maîtrisés,
un état fluctuant entre l’insouciance de l’enfance
et les peurs de l’âge adulte.
Titre : René Réalisation :
Alain Cavalier Scénariste :
Alain Cavalier Acteurs : Joël
Lefrançois, Nathalie Malbranche, Nathalie
Grandcamp, Emmanuelle Grandcamp, Jeanine Malbranche,
Thomas Duboc, Guy-François Malbranche Collaboration :
Françoise Widhoff Direction de production :
Armand Barbault Producteur : Michel
Seydoux Production : Camera
One, France 2 Cinéma, Canal + Festival : Festival
de Locarno en Sélection officielle Distribution :
Pathé Distribution Durée :
85 minutes Sortie : 4 décembre
2002 Année :
2001 Pays : France