LA MEDUSE & L'APPRENTI
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Deux jeunes hommes, Yuji (Jo Odagiri)
et Mamoru (Tadanobu Asano), travaillent dans une blanchisserie
industrielle; ils passent leurs journées a laver les
serviettes chaudes offertes dans les restaurants avant le
repas. Egalement co-locataires, leur temps libre n'est guère
plus inspirant. Yuji fait figure d’électron libre,
de jeune adulte tanguant davantage vers l'adolescence tandis
que Mamoru parle peu, s'entoure de mystère, et voue
une passion a sa méduse de mer, vénéneuse.
Yuji est intrigue, attire, par le silence de Mamoru, par la
beauté de cette méduse dans l'aquarium, seul
point sensible de décor dans un appartement fourni
par l'employeur. Leur patron, pauvre petit chef dominé
par une épouse plus jeune et leur fille de 13 ans (c’est-à-dire
presque la même chose), tente de retrouver une nouvelle
jeunesse en se liant a ses deux jeunes employés, qui
l'accueillent avec indifférence, sans rejet. Mamoru
voit au travers du désespoir de cet homme, de la médiocrité
de sa famille, et, a l'image de faits divers célèbres
au Japon a la fin des années 90, la décime a
coups de couteau. Yuji, qui nourrissait une envie semblable,
ou plutôt un désir de 'corriger' son patron,
sera celui qui découvre le massacre, comprenant les
raisons derrière la disparition de Mamoru.
Voilà pour la première partie du dernier film
de Kyoshi Kurosawa, Bright Future. Un film qui rappelle
les thèmes chers a son auteur, une jeunesse sans repères
incapable d'expliquer ses excès, ses pulsions de violence,
a l'aise devant la punition, l’incarcération, la mort.
Ces personnages sont en général des orphelins,
ou en rupture familiale. Un autre thème dominant chez
Kurosawa suit cette logique, celui du parent qui perd un enfant,
ou d'un adulte qui se retrouve dans le rôle de père
par procuration. Enfin, au dessus de tout cela flottent esprits
et fantômes, qui soulignent qu'il y eut un temps lorsque
Kurosawa rêvait d’être un John Carpenter, ou un
Dario Argento Japonais, un réalisateur a la fois critique
& cinéphile qui n'a jamais renie son amour du fantastique,
des séries B.
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La deuxième partie s'ouvre
les visites de Yuji a Mamoru, en prison. La ou nous rencontrons
le père de Mamoru, Shinichiro, interprète par
l'acteur mythique Tatsuya Fuji, de l'Empire des Sens. Shinichiro
travaille a son compte, il a son propre atelier de réparation:
pour les vieux appareils électroniques, hi-fi, vidéo,
etc. Chez Kurosawa, comme chez Tobe Hooper, comme chez John
Carpenter, et encore bien d'autres, l’au-delà est une
affaire de transmission. Il est sur le point de perdre Mamoru,
et d’hériter de Yuji. Dernière volonté
de Mamoru, que Yuji s'occupe de la méduse. De quatre
personnages (y compris le patron), Kurosawa passe a 2, abandonnant
les deux premiers espaces du film, la blanchisserie et l’appartement
des jeunes hommes, pour se concentrer sur l'atelier de Shinichiro.
Il met en place, de façon presque coutumière
dans le cinéma japonais contemporain, un dispositif
macro-geographique. Tournant en vidéo haute-def, le
support sert a merveille Kurosawa, traquant de près
les petites errances des personnages hors de leur territoire,
et l’intensité des drames entraînes par ces déplacements.
Shinichiro reçoit des visites de son fils mort, tandis
que Yuji malgré lui découvre un moyen pour que
la méduse puisse survivre en eau douce. ; dans une
des scènes les plus envoûtantes du film, Shinichiro
et Yuji assistent, la nuit, au passage phosphorescent de la
méduse qui s'est reproduite par milliers. Ces plans
de lumières flottant vers le large rappelle ces cérémonies
des lanternes, offrandes aux esprits.
Mamoru, le fils qui met en place le mécanisme fictionnel
visant la mort du père, celle du patron, celle de Shinichiro.
Yuji complète ce parricide par son silence sur le danger
des méduses. Shinichiro, sous les traits du sublime
Tatsuya Fuji, épris de beauté, emporte par son
émerveillement, s'effondre dans les bras de Yuji. Yuji,
a qui appartient cet avenir lumineux du Japon.
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Titre : Bright
Future / Jellyfish Alert
Titre VO
: Akarui Mirai
Réalisateur
: Kiyoshi Kurosawa
Acteurs
: Joe Odagiri, Tadanobu Asano, Tatsuya Fuji
Festival
: Tokyo Filmex 02 (ouverture)
Durée
: 1h 14 mn
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