IL
EST PLUS FACILE
POUR UN CHAMEAU de Valeria Bruni-Tedeschi
Par
Gilles LYON CAEN
SYNOPSIS : Federica est riche, trop riche…
Ce privilège l’emprisonne et l’empêche de faire sa vie d’adulte :
les attentes de son fiancé qui voudrait fonder une famille,
le retour inattendu d’un ancien amant, les conflits avec une
famille déconnectée de la réalité et déstabilisée par la mort
annoncée du père. Accablée par un héritage à venir et par le
poids d’une culpabilité lancinante, Federica cherche le réconfort
dans l’imaginaire : des rêves éveillés où la réalité devient
parfaite et merveilleuse.
La scène se passe dans un hôpital :
le père se prépare à l’idée de la mort, la mère et ses filles
se réunissent et l’écoutent parler à son chevet. Une dernière
fois peut-être. Subitement, le temps se creuse, comme le regard
de la petite sœur, comme les joues du vieil homme. Il est
plus facile pour un chameau se résume peut-être à une hypertrophie
du silence, la confession d’un père mourant à l’une de ses filles,
tandis que les autres sortent, confession que personne n’entendra.
Paroles ou aveux tus dans l’espace de l’hôpital, flottants,
suspendus dans la lente sécheresse des dialogues cruciaux entre
mère et fille, perdus dans un flot italien saccadé venu du nord
qui obstrue chaque silence.
Hormis Mathieu Amalric (Le Stade de Wimbledon) et Raoul
Ruiz (Fils de deux mères), aucun film n’avait autant
semblé couler dans son rapport à la lumière, en captant comme
au début d’Il est plus facile… les faisceaux solaires
d’une rue : dès les premiers plans, le travelling qui suit la
voiture de Federica (Valeria Bruni-Tedeschi) incarne une figure
soyeuse de la pensée, une douceur charnelle. Il est plus
facile…propose une vision du monde où chacun rêve de se
construire, en dépit ici d’une famille auquel on appartient
sans pour autant y prétendre, un réel bercé par des retours
en enfance de pièce en pièce, reconstitution d’un espace mental
où un moment s’est transmué en scène et a donné sens et ampleur
à une existence en cours. Que la cinéaste prenne les rênes du
récit en dressant un autoportrait intime importe moins que la
propension à l’imaginaire qui en émane. Car il s’agit moins
de dévoilement par intermittences (nous ne saurons rien de sa
validité, tant mieux), que de trouées personnelles, lyriques,
venues se glisser, se poser comme un voile discret, à travers
le tissage subtil des séquences. Peu importe aussi qu’elles
révèlent ou non leur fonction onirique : elles clignotent,
apparaissent (en surimpression) puis disparaissent (dans le
fondu). Aucune trouée au sens littéral, nulle échappée hors
du récit : ces instants divinatoires font apparaître l’espace
où l’héroïne et le temps glissent, et sans l’immobiliser, en
dévoilent la structure, la durée, le socle.
Il est plus facile pour un chameau,
derrière l’écran opaque du réel, derrière le vernis sublime
de l’image qui fait la marque des productions lusitaniennes
de Paulo Branco (Monteiro, De Oliveira), se révèle indispensable
dans sa facilité à sonder les affects d’une femme qui tournoie
sur elle-même. Le film gravite au firmament du journal intime,
dans une lignée morettienne où personnage et cinéaste ne semblent
faire qu’un, main dans la main, conscience de soi et du monde
comme ouverture possible au merveilleux et tentative d’accès
à une vérité. Ce qui touche plus que tout ici réside autant
dans une expérience qui feint l’exhibitionnisme (de l’utopie
de devenir soi), que dans une autocritique (idée drolatique
de ce que l’on ne pourra jamais devenir) filmée ici comme une
profusion des sens. Dans le cours de danse de Federica, la caméra
s’efface pour enregistrer la magie qui naît de petits vieux
virevoltants, mais elle regarde ailleurs, femme songeant à la
fenêtre qui scrute un monde hors-champ. Expérience unique d’un
regard qui rend audible le silence et la part musicale de moments
impromptus, Il est plus facile pour un chameau, plus
de dix ans après Comment je me suis disputé d’Arnaud
Desplechin,devient une grande oeuvre discrète et générationnelle.
Film lucide et burlesque qui sublime le réel, film de la joie
sensible.
Titre : Il est
plus facile pour un chameau Réalisatrice :
Valeria Bruni-Tedeschi Scénario : Valeria
Bruni-Tedeschi, Noémie Lvosky, Agnès de Sacy Acteurs : Valeria
Bruni-Tedeschi, Chiara Mastroianni, Jean-Hugues
Anglade, Denis Podalydés, Emmanuelle Devos, Marysa
Borini, Roberto Herlitzka, Lambert Wilson Premier assistant réalisateur :
Olivier Genet Monteuse : Anne
Weil Chef opérateur :
Jeanne Lapoirie Ingénieur du son :
François Waledish Décors : Emmanuelle
Duplay Producteur Délégué :
Gemini Films – Paulo Branco Directeur de production :
Sylvain Monod Distribution :
Gemini Films Sortie le : 16 avril
2003 Pays : France Durée : 1h50