Un étudiant agite méthodiquement une
boîte métallique ronde dans laquelle se trouve une pellicule
de film. Le son que produit la boîte fait l’effet d’un compte
à rebours. Le bruit est long et pesant, si bien que l’on se
prend à croire qu’il s’agit non pas d’un film en train d’être
développé, mais d’une bombe à retardement. Elephant est
cette bombe à retardement. Il accompagne chaque élève dans son
quotidien, avec ses mots de tous les jours, ses frustrations,
sa solitude. La caméra coule. Enchaînant avec aisance les travellings,
elle passe d’un personnage à l’autre et participe au grand chassé-croisé.
Le scénario, non linéaire, décompose l’emploi du temps des jeunes
personnages et ne cesse de revenir en arrière afin de mieux
rendre compte de leurs mouvements et de leurs interactions.
Quelque chose se trame dans ce temps éclaté, où personne ne
se voit vraiment ni ne s’écoute. Elephant, en réalité,
s’intéresse aux temps morts, car c’est précisément là que se
trame le désastre, là également où réside tout le tact, toute
l’humilité du film. Gus Van Sant ne veut rien dire, simplement
rester dans l’intimité de ces jeunes et les suivre pour tenter
de comprendre. Il parvient ainsi à concilier la modestie (dans
son propos) et la virtuosité (dans sa forme).
Conçu avec la précision d’une partition
de musique, le scénario, comme la mise en scène, participent,
par leur manière de suggérer la crise ou au contraire de souligner
l’ennui (« plutôt la barbarie que l’ennui » disait
Théophile Gautier), au développement implacable et lent d’un
crescendo macabre. On se surprend parfois à distinguer en arrière-plan
de ce crescendo le son d’une respiration. Rien pourtant n’indique
qu’on se trouve en caméra subjective. Ce souffle brusque et
contrarié ne serait donc autre que celui de Gus Van Sant. Dans
tous les cas, ce bruit relativement mystérieux donne au film
une portée de témoignage. C’est là tout ce qui compte pour le
réalisateur, bien plus intéressé peut-être par le processus
de l’événement lui-même que par la situation d’énonciation.
Il est intéressant à cet égard que la caméra très souvent suive
les personnages au lieu d’adopter leur regard : Elephant
n’adapte pas la fusillade de Columbine au cinéma, il le répète.
Parce qu’il est dénué d’effets dramatisants et qu’il parvient
à décrire d’une manière étonnamment simple un événement, et
peut-être, à travers lui, une génération, Elephant a
tout d’un chef d’œuvre : l’économie et la justesse - en
un mot le brio.
Titre :
Elephant Réalisateur :
Gus Van Sant Scénariste :
Gus Van Sant Acteurs :
Alex Frost, John Robinson, Elias McConnell, Eric
Deulen, Jordan Taylor, Carrie Finklea, Nicole
George, Brittany Mountain, Alicia Miles, Kristen
Hicks, Bennie Dixon, Nathan Tyson, Timothy Bottoms,
Matt Malloy Producteurs :
Dany Wolf, Saul Zaentz Producteurs exécutifs
: Diane Keaton, Bill Robinson Directeur de la photographie :
Harris Savides Ingénieur du son :
Leslie Shatz Montage son
: David A. Cohen Casting :
Danny Stoltz Costumière :
Marychris Mass Directeur artistique :
Benjamin Hayden Chef monteur :
Gus Van Sant Durée : 1h
21mn Année :
2003 Pays :
USA