Gus Van Sant nous plonge dans l’aquarium quotidien d’un lycée américain, avec sa cafétéria, sa bibliothèque, son terrain de sport, son laboratoire photo et ses couloirs qui n’en finissent pas. Une ville dans la ville. Plongés dans un bleu sécurisant ces ados vont se noyer dans du rouge sang. « On n’a jamais eu autant de fusillades dans les écoles américaines. Je voulais faire quelque chose qui essaierait de rendre l’état d’esprit des jeunes qui allaient à l’école à cette époque » dit Gus Van Sant . 20 avril 1999, deux jeunes du lycée de Columbine entrent, armés, et tuent treize personnes. Ce jour-là, ils tirent près de neuf cents balles sur leurs camarades avant de se donner la mort.

Les longs plans séquences, empreints d’une lenteur aquatique, suivent plusieurs élèves à l’intérieur de l’école. Les personnages s’entrecroisent, les situations sont répétitives. Certains parmi eux vont être les futures victimes. L’image est carrée, en écho à celle des jeux vidéos (format 1,33 :1). Plusieurs pistes à cette tuerie sont données : le racisme (image de Hitler à la télé), enfermement dans un monde coupé de la réalité, de la facilité pour se procurer des armes à feu, de l’homosexualité (rejet des autres), des parents absents. Mais justement, ces écoles américaines, en proposant le tout disponible sur place, ne sont-elles pas elles-mêmes univers trop protégé, coupées de tout ? Le premier protagoniste laisse justement son père ivre devant le lycée, à l’extérieur, et confie les clés de la voiture au secrétariat pour que son frère puisse le ramener.

Image d’une jeunesse froide, dont les sentiments sont difficilement palpables. Thème récurent abordé par Van Sant dans ce film : le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Par de multiples petits détails, se dresse, au fil du film, l’état psychologique d’une jeunesse lasse, issue de la classe moyenne, qui glisse sûrement avant d’entrer dans l’âge adulte. Le cas des deux jeunes tueurs de Columbine n’est pas unique mais régulier dans les pages « faits divers » américaines. L’année passée, Michael Moore, avec Bowling for Columbine, était parti de cette même tuerie pour réaliser un manifeste contre la politique de la NRA, la facilité de l’accès aux armes à feu et le sentiment plus général de peur qui règne aux USA. Loin de l’esprit documentaire (sans pour autant être antagoniste avec le film de Moore), Elephant est d’une grande force poétique, suspendue à un univers proche du rêve qui bascule, lors de l’apparition des deux tueurs, vers le cauchemar. Sans pour autant déréaliser totalement l’espace, la caméra reste proche des élèves et de leurs actions. Gus Van Sant trouve la distance juste. Les dialogues se font rares, l’absence de voix off concourt à une mise en scène humble, non-explicative ; nous sommes immergés plongés dans un monde du silence fracassé par le bruit des tirs semblable à celui des jeux vidéos, qui vient rappeler au spectateur la tragique réalité des événements.

Se défaisant de tout artifice qui viendrait alourdir son propos, Gus Van Sant , avec aisance, par moments sur fond de musique classique (Beethoven), filme l’irrationnel et le certain état d’esprit d’une jeunesse américaine qui vit dans la facilité. Une facilité dans laquelle deux ados se sont dissous, absorbant au grand creux de leur angoisse / convulsion un grand nombre de leurs camarades.

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Titre : Elephant Réalisateur : Gus Van Sant Scénariste : Gus Van Sant Acteurs : Alex Frost, John Robinson, Elias McConnell , Eric Deulen , Jordan Taylor, Carrie Finklea , Nicole George, Brittany Mountain , Alicia Miles, Kristen Hicks, Bennie Dixon, Nathan Tyson , Timothy Bottoms , Matt Malloy Producteurs : Dany Wolf, Saul Zaentzu Producteurs exécutifs : Diane Keaton, Bill Robinson Directeur de la photographie : Harris Savides Ingénieur du son : Leslie Shatz Montage son : David A. Cohen Casting : Danny Stoltz Costumière : Marychris Mass Directeur artistique : Benjamin Hayden Chef monteur : Gus Van Sant Date de sortie : 22 Octobre 2003 Durée : 1h 21mn         Année : 2003 Pays : USA