La mort de la petite fille est le point
d’orgue du film, un peu comme la scène du viol dans Irréversible.
Sauf qu’ici, c’est plus dérangeant : si on passait de l’Enfer
au Paradis dans le film de Noé, ici, c’est une descente aux
Enfers radicale dans laquelle rien ne peut sauver des personnages
en conflits permanents. Le réalisateur de Seul contre tous
amplifiait la réalité pour que nous prenions conscience
du sens de la vie ; Park Chan-Wook préfère nous faire comprendre
à quel point la loi du Talion est un cercle vicieux et pernicieux.
La démonstration est tout aussi éloquente et l’expérience, douloureuse.
L’effet est tellement explosif qu’on a parfois l’impression
que certaines scènes nous baffent littéralement le visage.
Après Joint Security Area, un thriller politique encore
inédit chez nous, célèbre pour avoir figuré parmi les trois
plus grands succès coréens, le réalisateur Park Chan-Wook continue
d’ausculter l’être humain sous son angle le plus sombre avec
une caméra-scapel pourvue d’un réel sens du détail. Il trouve
néanmoins ses limites dans un humour noir peu ou prou assumé
(le personnage principal qui baille devant une autopsie) qui,
par intermittences, se révèle assez gênant. La mise en scène,
parfois inspirée, parfois hésitante, ne rend pas nécessairement
justice à une narration brillante et dense qui renferme suffisamment
d’enjeux dramatiques et de substance pour faire oublier les
maladresses formelles. Mais cela reste bénin tant l’interprétation
d’ensemble est de très haute tenue : Song Hang-Ho impose un
physique brut qui sied à un personnage blessé ; quant à Shin
Ha-Kyun, il incarne avec une belle sobriété un handicapé incompris.
La description de ces deux personnages fâchés avec le monde
est minutieuse et précise : elle sert à rendre doublement intense
une confrontation douloureuse qui génère paradoxalement de très
beaux moments de cinéma.
Comme dans tout film ultra violent qui
se respecte, il n’y a aucune morale mais un romantisme discret,
désabusé, poétique et profondément beau. Ces histoires d’amour
(le père et sa fillette, l’handicapé et la terroriste…), moments
d’émotion indispensables, apportent quelques grammes de douceur
dans un monde impitoyablement monstrueux. Surtout, elles montrent
jusqu’où des êtres sont prêts à se perdre par amour à l’instar
du père vengeur, tellement déphasé par le décès de sa fille
qu’il en a perdu toute raison. L’autre relation lie deux marginaux
exclus de la société (un handicapé et la terroriste) qui se
vengent eux aussi à leur manière d’un système inacceptable.
Qu’on se le dise : les personnages de cette tragédie sont foncièrement
humains même si les choix qu’ils prennent sont souvent discutables.
Le film ne se permet à aucun moment de les juger, tout comme
le spectateur qui ne peut pas dire ce qu’il aurait fait à leur
place. Cette absence de concession ne l’empêche pas de constater
que l’amour fou les a rendu aveugle et qu’ainsi ils n’ont pas
pu contrôler la bête qui somnolait en chacun d’eux. Et qui somnole
en chacun de nous...
Titre : Sympathy for Mr Vengeance Titre V.O : Boksuneun naui geot Réalisateur :
Park Chan-wook Scénariste :
Chan-wook Park Acteurs : Song Gang-ho
, Shin Ha-Gyon Photo : Byung-Il Kim Musique : Hyung-Jin
Choi Distribution : Metropolitan
Filmexport Production : Studio
Box Sortie le : 03 septembre
2003 Durée : 2h Année : 2002 Pays : Corée du Sud