POINT DE VUE
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Avec Amours Chiennes, Alejandro
González Iñárritu avait frappé un grand coup. Son premier
long-métrage témoignait d’une grande audace formelle et
scénaristique. Avec 21 Grammes, le metteur en scène
mexicain réitère l’expérience d’Amours Chiennes,
mais en allant encore plus loin dans le processus. Iñárritu
ne change pas de sujet, son regard reste braqué sur les
hommes et les relations qu’ils entretiennent entre eux,
toujours aussi violentes, passionnées et complexes. Caméra
à l’épaule, image granuleuse, le spectateur est au plus
près des personnages. Iñárritu, tel un couteau disséquant
sa proie, dépèce la réalité, les lieux et les corps pour
atteindre la brutalité que recèle le monde, la part de vérité
qu’il cache. Par moments la caméra s’arrête sur les personnages,
filme les peaux, tels des lambeaux de chairs meurtris par
la vie, comme pour sonder les tourments confinés au plus
profond d’eux-mêmes.
Pour autant le film ne s’annonce pas sous les meilleurs
auspices. Foi, rédemption, alcoolisme, grave maladie sont
autant de paramètres propices à une surcharge de pathos
et de complaisance. Mais très vite le doute est dissipé,
la structure narrative complètement éclatée du film (dans
un style faulknerien) permettant au cinéaste ne pas user
des vieilles ficelles mélodramatiques. Dans ce maelström,
où passé et présent se confondent, chaque séquence possède
sa propre existence. Ainsi la séquence précédente n’a la
plupart du temps aucun rapport avec la suivante qui elle-même
n’aura guère de lien avec celle qui la suivra. Finalement
ce dispositif narratif reflète avant tout le désordre intérieur
auquel sont soumis les personnages, l’incompréhension à
laquelle ils sont confrontés, les terribles coups du sort
par lesquels ils sont frappés. On pense souvent d’ailleurs
au cinéma de Kieslowski dont les films avaient pour figures
principales hasards et coïncidences de la vie, angoisse
du monde et perte de soi.