Grand Prix de cette 33e
édition, ce premier long métrage bénéficie d’une noble parenté :
son cinéaste, Lee Kang-sheng, est en effet l’acteur au visage
lunaire qui traverse avec nonchalance le travail unique du
cinéaste taiwanais Tsai Ming-liang. Le jeune homme à la minerve
de La Rivière, c’est lui, ce beau garçon au regard
doux mais à la cinégénie sourdement animale. Avec un tel parrainage,
l’inscription de son premier film à la mise en scène dans
une continuité formelle avec l’œuvre de son mentor apparaîtra
au premier abord comme une évidence. Mais les ressemblances
ici, loin de minorer la réussite de The Missing, signalent
plus fortement la manière avec laquelle Lee Kang-sheng se
hisse sur l’art de son maître, dans une compréhension de son
écriture et de son discours sur le microcosme taiwanais, et
sur les auto-mutilations que s’impose toute culture ayant
goûté le fruit du libéralisme.
C’est de ville dont il est ici question, comme chez Tsai Ming-liang :
la ville comme entrelacs de décor qu’il s’agira de quitter
pour rejoindre les coulisses, les loges, les lieux neutres
où peut advenir une refonte de son rapport au monde. A l’attention
extrême portée par Tsai Ming-liang à l’émergence d’une individualité
enfin libéré du faisceau des contraintes sociales aliénantes
et des fantômes familiaux, et qui se manifeste avec la plus
grande simplicité dans l’avènement du geste, ankylosé et peu
à peu affermi, comme expression cinématographique originelle
d’une inscription enfin apaisée dans le monde, Lee nous propose
de suivre le parcours de quelques personnages, à la recherche
d’un proche disparu. Ce qui, pour un premier film, est une
option des plus valables, garantissant l’unité et le contraste,
le mouvement et la séduction d’une promenade dans la ville,
et permet par ailleurs de mettre en scène des figures schématiques,
plus simples à manier pour un cinéaste débutant : un
corps et deux jambes, à peine des visages.
Un goût prononcé pour l’occulte traverse le film, mais les
forces naturelles ou surnaturelles n’opèrent pas toujours
comme outils de sens s’inscrivant dans une mécanique poétique
manquant parfois de chair chez Tsai Ming-liang. Une forme
de respect devant le mystère de la disparition, une croyance
certaine dans le surgissement inattendu de signes univoques,
doivent être acceptés par le spectateur, plongé dans un univers
quelque peu merveilleux.
Donc ici deux trajectoires symétriquement inversées, la mise
en route d’un jeune homme, qui devra s’extraire des brouillards
artificiels du jeu vidéo pour retrouver son grand-père, et
la progressive décélération d’une grand-mère affolée ayant
perdu son petit-fils au parc. Le grand-père est atteint de
la maladie d’Alzheimer, et il est innocent comme l’enfant
perdu : c’est cette insouciance qu’il s’agira de retrouver.
The Missing déploie alors harmonieusement ce dispositif
se réfléchissant comme indéfiniment, opposant point par point
ces deux personnages. Cette opposition a priori oxymorique
se confondra finalement dans une identique confusion, puis
acceptation apaisée devant la réalisation soudaine du besoin
vital de la générosité innocente que portait le disparu.
Titre : The Missing Réalisateur : Lee Kang-sheng Producteur : Homegreen
Films Co., Liang Hung-chih Scénario : Lee Kang-sheng Acteurs : Lu Yi-ching,
Miao Tien, Chang Chea Montage : Chen Sheng-chang Durée : 82 min