Le désir de filmer
est très souvent en contradiction avec le manque de
moyens financiers et matériels pour assouvir cette
passion. Philippe Harel et son Eté sans histoires,
ou dernièrement le tandem Richet - Dell Isola pour
Etat des lieux sont les preuves talentueuses et intelligentes
qu’il est possible de faire un long métrage sans trois
millions de dollars... Petit nouveau dans ce monde que l’on
s’épuise à classer dans la catégorie
phénomènes marginaux, un grand jeune
homme d’environ 25 ans, mèche blonde et regard rêveur,
Benoît Labourdette. Pour le trouver, il faut prendre
la direction du cinquième étage de l’université
parisienne Paris III (Censier), où il a ses quartiers,
dans un bureau d’un mètre sur trois ! Etudiant en cinéma
dans cette même fac au début des années
90, il s’étonne de voir un matériel vidéo
laissé à l’abandon dans des armoires. Il prend
alors en charge la gestion de ce service technique avant de
devenir chargé de cours en licence de communication.
Il crée également au même endroit, Court-Bouillon
: des rencontres thématiques autour de courts métrages
et de leurs auteurs.
Parce que, de son propre
aveu, " il ne faut pas s’oublier dans le quotidien et perdre
de vue son but initial ", il écrit et tourne simultanément
ses propres scénarios. Après quelques balbutiements
vidéo et super 8 avec des copains, il réalise
Syndrome, une histoire fantastique ancrée dans
le quotidien : un premier court métrage professionnel,
pour 50 000 francs. "J’ai beaucoup appris en le faisant;
je savais ce que je voulais au niveau du résultat final
sur l’écran, le plus difficile est de transmettre ses
idées à une équipe. " Et Benoît
de s’agacer avec raison quand il entend se plaindre les étudiants
de ne connaître personne dans le milieu du cinéma
: " Ce n’est pourtant pas dur de connaître des gens
: moi, je suis allé à la cafétéria
de l’école Louis Lumière pour recruter mon équipe
technique ! Cela ma pris 6 mois, mais ça a marché
! " Quand il a ressenti le besoin de réaliser son
premier long, Benoît Labourdette ne s'est pas non plus
posé trop de questions embarrassantes : " j’ai senti
un jour que je devais tourner un long métrage : je
suis donc parti de contraintes. Je me suis fixé huit
mois pour écrire un scénario, trouver l’argent
et recruter l’équipe, et j’ai tourné dans ma
ville, à Meudon, pour m’éviter de faire des
repérages trop prenants ! Je sais que c'est con de
raisonner comme ça mais je ne crois pas du tout à
l’idéal. Il faut considérer les réalités
et les contraintes. On peut avoir plein d’idées dans
sa vie sans se bloquer sur un truc pendant un temps fou !
" Labourdette choisit le film Fast et ça
lui réussit. La tête dans l’eau, dissimule
ses côtés bricolage (16 mm, 200 000 francs) par
une vision personnelle et un ton original. Un vendeur de cacahouètes
ambulant, ses clients, ses amis, forment dans un premier temps
le petit monde décalé qui va peu à peu
disparaître. " Vous ne verrez plus... " : des
cartons rythment le ballet des disparitions, le montage et
la bande-sonore, très travaillés, jouent à
fond la carte de l’hypnotisme. Drôles d’impressions.
" J’ai bouleversé la narration au montage, par rapport
au scénario initial, et j’ai intégré
la distance que j’avais par rapport à l’histoire du
film " explique Benoît quand on lui fait part de
son étonnement devant l’importance de la post-production.
6 pré-montages vidéo auront en effet été
nécessaires avant la version définitive de 70
minutes de La tête dans l’eau : " tellement
de possibilités s’ouvrent à toi au montage :
tu peux vraiment faire n’importe quoi " poursuit le jeune
enthousiaste.
Mais le plus important derrière
cette cuisine détaillée demeure la batterie
d’émotions que peut engendrer un film : " je fais
du cinéma pour faire vivre quelque chose à un
spectateur et lui proposer un univers dans lequel il peut
revenir " conclut un Benoît Labourdette avide d’expériences
nouvelles : " pour le prochain, j’essaierai de concentrer
mes efforts dans le temps et d’essayer de concevoir un peu
plus à l’avance ce que je veux rendre à la fin.
"
|