Rencontre avec
des hommes remarquables ...
On peut paraphraser le titre du film de Peter Brook d’après
Gurdjieff pour donner le ton à cette introduction.
L’argument principal du film (la marche initiatique de l’auteur
vers la connaissance) pourrait tout à fait convenir
à notre propos.
On les appelle des éveilleurs.
Ces garnements insatiables ont la sagesse des grands découvreurs
et l'attention particulière qui les fait devenir un
jour passeurs d'émotions. A l'heure où la frange
singulière du cinéma risque quotidiennement
sa peau à se frotter au puissant capital, à
l'heure où l'on ne sait plus où se nichent les
images indépendantes et sans concessions, à
l'heure où la nécessité d'une altérité
se fait violemment remettre en doute dans notre société,
le besoin de résistance devient urgent. Cette lutte
passe par l'écoute de ces (é)veilleurs dont
la rareté nous effraie.
Les militants du cinéma
avaient hier Henri Langlois. Nous avons aujourd'hui Jean-Loup
Passek, l'autre montreur de films, qui depuis vingt-cinq ans,
en montrant les images du monde entier, a formé consciemment
ou non, des générations entières d'amateurs
de cinéma. Il les a ouverts au monde en créant
un rapport original entre le spectateur et le créateur.
Passek a créé un nouveau pont entre l'oeuvre
et le spectateur. Langlois avait posé les jalons d'un
nouveau rapport au cinéma, Passek a continué
l'aventure en créant les conditions favorables à
un nouveau rapport au monde, via les cinématographies
étrangères.
Il dépasse donc le
cadre de la simple cinéphilie, celle qui se mesure
par exemple à la fréquentation de la Cinémathèque
Française, en proposant une approche du cinéma
plus singulière, par l’organisation de grandes rétrospectives
par pays au Centre Pompidou. A travers le cinéma, se
voit l'histoire de la société du pays qui a
produit l’œuvre, du réalisateur qui l'a créée.
Avec la création
du festival de La Rochelle en 1972, puis la création
de la cellule cinéma du Centre Georges Pompidou en
1978, il a été fidèle à deux principes
primordiaux : "avoir la curiosité à la boutonnière"
et garder la mémoire du cinéma. Celle que l'on
se plaît aujourd'hui à dilapider ou à
effacer.
Quelques personnes aimeraient
bien rayer Passek de la carte du cinéma, ce qui serait
un comble pour un géographe de formation ! On n'a jamais
trop bien compris pourquoi son travail était aussi
peu reconnu, pourquoi la presse n'en parlait pas beaucoup.
Bien sûr, l'homme est râleur et intransigeant
: ce sont des qualités nécessaires pour la lutte
en faveur d'une indépendance dont le cinéma
a toujours eu besoin, sous peine de disparaître. La
bougonnerie n'est qu'une apparence. Préférons
ce que l'homme a fait, plutôt que ce qu'il laisse paraître.
|