Quand on voit un film de
Pierre Zucca, les émotions qu’il suscite nous font
réfléchir sur l’absence d’un tel cinéaste
de l’histoire officielle du cinéma. Même l’érudit
Jean Tulard expédie sa carrière en quatre lignes
dans son dico des réalisateurs. Oui, Pierre Zucca fut
pendant longtemps un très grand photographe de plateau,
l’un des plus attentifs et des plus discrets. Oui, Pierre
Zucca a signé la très étrange adaptation
d’un livre non moins mystérieux de Pierre Klossowski,
Roberte, dans laquelle l’écrivain avait l’un
des rôles principaux. Oui Zucca fut un des premiers
à découvrir Luchini et l’un des seuls à
avoir fait tourner comme acteur Claude Chabrol. Mais ces quelques
étapes de sa carrière sont trop superficielles
lorsqu'il s’agit de parler du cinéma singulier que
mitonnait le cinéaste.
Pierre Zucca était
l’un des meilleurs cinéastes français de sa
génération, sa disparition au début de
cette année 1995 ne doit pas le faire oublier davantage...La
meilleure façon de l’évoquer est certainement
de parler de ses films. Alors goûtons les saveurs étranges
de rouge-gorge, réalisé en 1985 avec Philippe
et Laetitia Léotard, Jérôme Zucca, le
fiston, Fabrice Luchini, Victoria Abril et feu Benoît
Régent.
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Par sa cohérence
thématique, sa construction tout en trompe l’œil et
jeux de pistes, son goût du mystère et du mensonge,
Rouge-gorge est un des meilleurs films de Pierre Zucca.
Un film qui pose d’emblée des questions que le plus
sagace des spectateurs doit résoudre, à moins
qu’il n’attende son déroulement pour connaître
les réponses. Rouge-gorge est un puzzle dont
les pièces vont apparaître au fur et à
mesure avant de s’imbriquer lune dans l’autre. Un aéroport
parisien sera le premier et l’ultime décor d’une histoire
cyclique prenant racine dans un ailleurs rêvé.
L'aîlleur constitue la matière première
de l’imaginaire de Reine (Laetitia Léotard), une jeune
étudiante en histoire, pressée de feuilleter
dans les bibliothèques le passé de boucaniers
et autres pirates bondissants. Louis, son père (Philippe
Léotard), a entretenu dés l’enfance de la jeune
fille, ce mythe de l’aventurier, par des absences répétées
qu’il justifiait par l’envoi de cartes postales de pays lointains.
Toujours autant absent, il partage un vaste appartement avec
Reine la solitaire, tout juste agacée par le comportement
pot de colle de son petit copain Frédéric, étudiant
en médecine (Luchini). Le catalyseur de toute l’histoire,
c'est Charles, un jeune motard avec qui on a à peine
le temps de faire connaissance à toute allure dans
les rues de Paris qu’on le retrouve sur le macadam, victime
sans gravité d’un accident brutal. Le destin, sans
qui aucune rencontre n’est possible, réunit le blouson
noir accidenté et la jeune fille prude à fantasmes
aventuriers dans une salle de cinéma où se projette
une version de L’île au trésor (celle
d’Evgueni Fridman, datée de 1974). La suite est une
histoire à plusieurs entrées et sorties, dont
les gardiens s’appelleraient Philippe, agent de change vidéaste,
Marguerite, la secrétaire aux étranges prémonitions,
ou Louis, alias Rouge-gorge , alias Charles Perrault
! Ca ne s’invente pas, ou plutôt si, tout s’invente
dans l’océan de mystère que figure Rouge-gorge,
le film. Des signes jalonnent le parcours des personnages,
comme ces chasses aux trésors que l’on fait en bandes
dans notre enfance. Une cassette vidéo, 91 pièces
d’or, un casque de motard, un billet d’avion, sont quelques
uns des butins ou des indices tournant autour d’une vraie
fausse agence de voyages, la Tropical Tours. Des décors
parisiens froids (aéroport de Roissy, gare Montparnasse,
Forum des Halles), des univers stylisés (le double
appartement de Louis et Reine) constituent le décor
d’une aventure moderne où les motards seraient les
derniers aventuriers et le trafic de fausse monnaie la dernière
piraterie. La métaphore d’un Paris-navire où
le danger serait permanent et la punition cruelle est la principale
constituante d’une dimension romanesque dépourvue de
tout lyrisme. Trahisons, mensonges, désillusions d’une
vie fondée sur le romanesque, " rouge-gorge " fourmille
de ces petites bassesses qui marquent une enfance et déterminent
la vie d’une jeune fille. Reine, la jeune héroïne
au cœur pur, privilégie le non-dit à la parole
facile, contenant ses désirs et ses angoisses de jeune
adulte derrière une apparente timidité. Victime
des mensonges d’un père quelle adule tout en soupçonnant
les sombres agissements, elle hésite à choisir
son camp.
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1985 Rouge-Gorge
avec Philippe Léotard, Laetitia Léotard,
Jérôme Zucca
1990 L' Orient mirage
de l'Occident
1981 Balthus
1978 Roberte ce soir
1993 Porte de Bagnolet
1975 Vincent mit
l’âne dans un pré et s'en vint dans
l'autre
1988 Alouette je
te plumerai avec F. Luchini, C. Chabrol, M.
Presle
1977 Roberte
avec J.-F. Stévenin, B. Schroeder, F. Mitterrand
1976 Vincent mit
l'âne dans le pré avec M. Bouquet,
F. Luchini
Pierre
Zucca est également l’un des créateurs
et réalisateurs de la série documentaire
" Paysages " récemment rediffusée
par Arte.
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