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Jacques Rozier (c) D.R. JACQUES ROZIER
Réalisateur en liberté
Par Bernard PAYEN


A la question inévitable qu’on lui pose toutes les cinq minutes (Pourquoi tournez-vous aussi peu de films ?), Jacques Rozier répond toujours que c’est mal connaître sa filmographie, qu'en fait il n’arrête pas de travailler (courts métrages, commandes, etc.), que c’est aussi une manière pour lui de rester l’un des cinéastes les plus indépendants, passant son temps à garder le contrôle sur les films qu’il a réalisés, et de ne pas les voir disparaître dans la nature. On peut le croire sur parole, il n’empêche qu’on se prend à regretter de ne devoir compter que sur une seule main le nombre de longs métrages que Rozier a réalisé (4) et on se demande aussi parfois si la nonchalance des personnages qu’il filme ne l’ont pas contaminé.


  Adieu Philippine (c) D.R.

Quand il réalise Adieu Philippine en 1962, Jacques Rozier se doutait-il qu’il avait réalisé le vrai film phare de la Nouvelle Vague, héritage direct du néo-réalisme italien, marqué par une évidente spontanéité (travaillée, pas improvisée), une fraîcheur de ton qui posait d’emblée la question du vrai et de la réalité au cinéma. Truffaut, lui en était parfaitement conscient lorsqu'il évoquait dans un article en 1963 (repris dans les films de ma vie) : " le génie de l’équilibre entre l’insignifiance des événements filmés et la densité de réalité qui leur confère une importance suffisante à nous passionner ". Cette remarque définit remarquablement le cinéma de Rozier qui filme les pérégrinations amusantes de personnages le plus souvent en vacances, fuyant le plus souvent la ville pour le bord de mer, occupés à des activités perçues comme futiles (le pique-nique et les guêpes sur une plage corse dans Adieu Philippine, la préparation des anguilles dans Du côté d'Orouet...) mais qui nous semble extraordinairement familiers au point d’éprouver une très grande mélancolie lorsque le film se termine et que nous sommes obligés de les quitter. Dans Adieu Philippine, le départ forcé du personnage principal au terme d’une virée en Corse émeut davantage en prenant une autre coloration : il doit partir pour la guerre d’Algérie. Mélancolie parfois ressentie par les personnages eux-mêmes lorsqu'une des trois jeunes filles de Du côté d'Orouet fond en larmes à la suite du départ de Gilbert (Bernard Menez), lassé des quolibets dont il était victime. Pendant toute la durée du film, Gilbert fait figure d’amuseur et de bouffon, parfois agaçant, dérangeant la tranquillité de ces trois jeunes femmes chez qui il s’est imposé (une d’entre elles travaille sous ses ordres à Paris), mais son absence est ressentie comme un manque profond. Il est le symbole de cette insignifiance devenant soudain valorisée en fin de film. Ce sentiment découle aussi du travail abouti que Rozier exerce sur le temps, qui passe sans qu’on s'en aperçoive, avec lequel le cinéaste construit du comique en jouant notamment sur la durée : pas de gags ponctuels mais un étirement des situations qui provoque le rire, pensons à la célèbre discussion qui ouvre le film Maine Océan, avec Luis Rego, Bernard Menez en contrôleurs SNCF, aux prises avec une brésilienne qui a oublié de composter son billet (Schtoung à la gare), où la fin du film, qui montre le cheminement incroyable du contrôleur Menez, obligé de passer de bateau en bateau avant de rejoindre la terre ferme... Dans ce film (l’un des plus connus de Rozier), le langage nourrit également cette dimension comique, dépasse le thème bateau de l’incommunicabilité (de la Brésilienne qui ne parle pas français au Breton qui parle trop vite) pour devenir une sorte desperanto musical, par la création d’une chanson brésilienne (Le roi de la samba). Rozier est donc un cinéaste rare à tous les sens du terme, rare par son refus des effets faciles, par sa capacité à émouvoir avec des choses simples, par son refus d’un tempo et d’un rythme conventionnel, mais dont les films se font rares aussi.

Du côté d'Orouët (c) D.R.

A la Rochelle, on a pu voir en juillet dernier un certain nombre de courts métrages réalisés par Rozier, dont les plus intéressants sont incontestablement Blue Jeans (deux minets en pleine drague prés de Cannes) et Rentrée des Classes (l’école buissonnière d’un gamin du Var). Parmi les trois longs métrages évoqués ci-dessus (Les naufragés de l’île de la tortue ne sort pas de la Cinémathèque, qui serait bien inspirée d’ailleurs de le reprogrammer) qui sont de sortie dés le 30 octobre à Paris et ailleurs (on l’espère), on remarquera l’événement suivant : la réédition en 35 mm de Du Côté d'Orouet, réalisé en 16 mm pour l’ORTF en 1970 et quasi invisible depuis. Comme c’est quasiment le chef d’œuvre de Rozier, il faut s'y précipiter.



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1973
Du côté d'Orouet avec Bernard Ménez, Caroline Cartier
1985 Maine Océan avec Bernard Ménez, Luis Rego, Yves Afonso
1963 Adieu Philippine avec Jean-Claude Aimini, Yveline Cery
1963 Paparazzi avec Jean-Luc Godard, Brigitte Bardot, Michel Piccoli
1974 Les Naufragés de l’île de la Tortue avec Pierre Richard
1955 Rentrée des classes avec René Baglio, Marius Sumian
1958 Blue jeans avec René Ferro, Francis de Peretti, Elizabeth Klar