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  L'Atalante (c) D.R.
L’Atalante fut tourné lors de l’hiver 1933. Un hiver précoce, rude, agressif, tenace… un hiver qui poussait les individus à l’excès. Jean Vigo, notamment. Il lui restait moins d’un an à vivre. Un an, c’est si court… surtout lorsqu’on sait qu’il vient juste d’avoir 28 ans. Bien sûr, il n’était pas question d’attendre le prochain hiver pour tourner un premier (et unique) long-métrage… ni le printemps, ni l’été… Non, il fallait faire ce film maintenant… tout de suite ! Vif, entreprenant, convaincant, sans doute pressé par une Urgence trop vicieuse, attendu bientôt par la Mort, Jean Vigo créa L’Atalante de toutes pièces. A l’origine, L’Atalante était un scénario écrit par un homme, " Jean Guinée " en littérature, Roger de Guichen à la ville. Cet homme, qui n’avait rien à voir de près ou de loin avec le cinéma, poursuivit une honorable carrière bancaire. Le renom qui s’attache au film qu’il a jadis écrit et la gloire de Jean Vigo semblent toujours l’avoir étonné. Toujours est-il qu’il est, cependant, le premier à penser que L’Atalante est un film de Jean Vigo. Exclusivement !

On sait que Jean Vigo fut contraint de réaliser ce film de " commande ". Son producteur, Jacques Louis-Nounez, à l’origine un homme d’affaires qui voulait débuter dans la production cinématographique non pour s’assurer de meilleurs revenus mais pour faire disparaître SA très grande déception devant la production française du moment, voulut après Zéro de conduite (1933), donner une seconde chance à Vigo. Il faut rendre un immense hommage à monsieur Jacques Louis-Nounez. C’est la conviction inébranlable de cet homme, malgré une énorme pression de la part des distributeurs… en l’occurrence, la Gaumont-Franco-Film-Aubert, qui permit à Jean Vigo d’exprimer de façon la plus pure toute sa révolte. Lorsque Jacques Louis-Nounez eu dans les mains le scénario de L’Atalante, il suggéra à Vigo d’en faire un film. Le scénario original ne présentait pas " de points subversifs. " Il s’agissait de l’histoire… d’un jeune marinier, patron d’un chaland à moteur, qui épouse une fille de la campagne. La jeune épouse, supportant très mal la vie des mariniers, est attirée par les plaisirs mondains de la ville. Elle est entraînée dans cette idée par un autre jeune marinier, amoureux d’elle. Alors, elle quitte la péniche et gagne la ville. Le vieux marinier qui vit avec le patron de L’Atalante, qui n’a absolument aucun point commun avec le Père Jules/Michel Simon, ramènera la jeune femme au foyer. Ce qui manque au scénario de Jean Guinée et ce qu’apportera Jean Vigo, c’est de l’Humain. Aussi, il faut noter une absence totale de points de vue et, quant à l’amour, un manque cruel de Passion.

Zéro de conduite (c) D.R.

On pensa, ici et là, que ce scénario " léger " parviendrait à révéler le talent de mise en scène de Jean Vigo, sans le rendre trop corrosif. Sa précédente œuvre, un moyen métrage qui a fait le bonheur de tous les ciné-clubs d’après-guerre, Zéro de conduite, avait été interdite sans discussion (le film n’a peut-être jamais été visionné par les censeurs) par la commission de censure. Les raisons évoquées sont expéditives : " atteinte au corps enseignant ", " esprit anti-français ". Des " citations " tellement " à la mode " ! Qu’importe ! Il fallait interdire ce film. La vraie raison de cette interdiction sans appel fut, sans aucun doute, celle-ci : Jean Vigo était le fils d’un anarchiste célèbre : Miguel Almereyda (Eugène Bonaventure de Vigo). Almereyda, était partout " où il y a de la merde " ! Un militant convaincu ! Lorsque ses différentes amitiés politiques dérangèrent ses semblables, Almereyda fut arrêté, puis retrouvé mort dans sa cellule… de Fresnes, pour enfin, le lendemain, se faire qualifier de " traître " ! On conclut l’affaire ; rapidement ! " Miguel Almereyda : il s’est suicidé ! Voilà tout ! " Toute sa courte vie, Jean Vigo travailla sans relâche à la réhabilitation de son père afin de démasquer les vrais commanditaires de son assassinat. Alors, dans ces cas-là, il ne suffit pas à Jean Vigo de faire un film subversif pour être mis à pied. De plus, il faut savoir qu’à cette époque, embrumée par l’affrontement de divers groupes politiques et régit par des " intellectuels ", l’élite intellectuel du moment… bien à droite, la censure passait facilement d’un ministère à un autre. La création d’un Conseil Supérieur du Cinéma en 1931 auquel se rattache la commission de contrôle n’empêcha pas le ministre de l’Education Nationale, Anatole de Monzie, après divers conflits entre ses services et la préfecture de police, de demander par lettre au ministère de l’Intérieur de reprendre le contrôle des films. Ce " Conseil Supérieur du Cinéma ", qui se voulait moins administratif que la structure antérieure, était représenté par des membres du gouvernement et par des professionnels du cinéma. En voulant protéger le film français, ils ont participé à la destruction de véritables joyaux.