Objectif Cinéma :
Venons en à L'Ennui,
que vous avez réalisé en 1998. C'est avec
ce film que je vous ai, personnellement, découvert.
Êtes-vous d'accord pour dire qu'avec ce film, vous
opérez une sorte de saut qualitatif, au niveau de
la maîtrise formelle, du rythme.
Cédric Kahn : Oui,
à partir de L'Ennui, j'ai changé de
métier dans ma tête.
Objectif Cinéma : Comment
s'est opéré ce changement ?
Cédric Kahn : Avant,
je faisais les films comme ça, avec mes tripes, mon
instinct, mon envie etc. Et puis, à un moment donné,
j'ai commencé à faire des films, c'est-à-dire
à assumer d'être ce qu'on appelle un " réalisateur ".
Donc d'écrire un film, de le penser en termes de
mise en scène. C'est sûr qu'à partir
de L'Ennui, j'ai commencé à aborder
le cinéma d'une autre façon. Et ce, grâce
à Culpabilité Zéro. Ce film
a été un vrai tournant. C'est un film raté,
mais c'est le premier où je me suis autorisé
à faire du cinéma. Jusqu'à présent
je " filmais des choses " plus que je
ne " faisais du cinéma ". Et
avec ce film, comme ce n'était pas du tout une histoire
réaliste (c'était un peu un pseudo polar),
j'ai commencé à accepter l'idée de
faire de la fiction, et donc de faire de la mise en scène,
ce qui est la même chose pour moi. Avant, j'étais
plus dans la captation, c'est-à-dire que j'essayais
de capter des choses qui me touchent et qui puissent éventuellement
toucher les gens. Et après, j'ai accepté l'idée
que faire des films, c'est aussi avoir une pensée
et l'imposer, quelque chose qui est plus de l'ordre d'un
savoir faire.
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Objectif Cinéma : D'ailleurs,
on peut remarquer une différence assez sensible entre
ces deux périodes. Dans vos premiers films, les plans
sont plus longs, ils durent plus longtemps ; il y a
plus de plans séquence par exemple.
Cédric Kahn :
Oui, c'est de la captation.
Ce qui est une forme de mise en scène. Il s'agit
de faire vivre des choses aux acteurs, de leur faire exprimer
des sentiments, et moi je capte tout ça. Ce n'est
pas la chose la plus facile. C'est l'essentiel : il
se passe quelque chose à l'image. On peut faire des
plans vertigineux, magnifiques et il ne se passe rien à
l'image.
Objectif Cinéma : À
partir de L'Ennui, votre cinéma s'accélère,
le rythme est nettement plus rapide.
Cédric Kahn : Trop
de Bonheur c'est rapide,
mais pas ce n'est pas de mon fait, car ce sont des gens
du Sud, qui ont un débit de paroles très rapide.
Objectif Cinéma : Mais
vous êtes dans la captation encore
Cédric Kahn : De
ma part à moi. Ce que j'y induis n'est pas rapide,
mais le film l'est quand même. L'Ennui est
un film plus mis en scène, davantage que Roberto
Succo même.
Objectif Cinéma : Plus
scénarisé ?
Cédric Kahn : Oui.
La caméra est vraiment un troisième personnage.
Elle crée un langage en dehors des acteurs. Elle
induit un rythme, une frénésie, une pulsation,
en plus du texte et de l'histoire. Quand on lit le scénario
de L'Ennui, on se dit que cela aurait pu être
un truc très théâtral. Alors que c'est
la caméra qui fabrique le cinéma.
Objectif Cinéma :
On a l'impression que vous avez
pris le parti de filmer cette histoire comme un film d'action,
mais un film d'action verbal.
Cédric Kahn : Oui,
je l'ai tourné comme un thriller, contrairement à
Roberto Succo.
Objectif Cinéma : On
vous a suggéré de lire L'Ennui. Ce
livre vous a-t-il semblé proche de ce que vous aviez
fait auparavant ou au contraire très loin de vous ?
Cédric Kahn :
Il y a une part de
romanesque qui n'existait pas dans mes autres films. Et
en même temps, comme je l'ai dit, j'ai l'impression
que tous mes films sont déjà dans Bar des
rails. C'était le rapport d'une adulte qui essaie
de faire parler un adolescent un peu autiste. Et L'ennui
offre quasiment la même situation. C'est un adulte,
qui représente la rationalité, et se cogne
au mur du refus du langage, de l'explication, de l'expression.