Toutefois, on peut regretter
que le désir de rendre hommage à ces cinéastes
et scénaristes dits de la qualité française
(qui seront conspués une quinzaine d'années plus
tard par les jeunes loups de la nouvelle vague) referme le film
sur lui-même.
L'exaltation de Tavernier rend perplexe lorsqu'il se fait
l'avocat d'un art un peu daté (en l'occurrence celui
du bon mot à tout prix). Les cinéastes de sa
génération, ceux de la nouvelle vague, ont abhorré
Bost et Aurenche (ancien co-scénariste de Tavernier)
à cause de leur académisme. Tavernier prend
ouvertement le parti de l'académisme en magnifiant
les deux scénaristes et leur statut d'artisans des
mots. Il y a de la nostalgie derrière cela, du conservatisme,
et le paternalisme d'un homme qui aurait voulu être
le frère de ses pères. Rien qui mérite
le reproche en soi, mais fallait-il être démonstratif
à ce point ? Il semble qu'avant de compter Laissez-passer
la filmographie de Tavernier ressemblait déjà
à un hommage aux beaux " bibelots "
de la qualité française.
Néanmoins, le jeu poignant et efficace
de Jacques Gamblin dans ce qu'il a de léger et précis
à la fois, pourrait nous ôter le goût de
la querelle esthétique. Digne héritier de Didier
Besace (autre comédien porte-parole du cinéaste)
dans l'art et la manière d'acoquiner l'humour avec
la gravité, jamais cabotin tout en restant très
hospitalier, Gamblin nous campe un professionnel endurant
et combatif. Ce résistant impulsif qui traverse cette
période de folie à toute vitesse semble faire
partie de ceux qui, presque malgré eux, par sens inné
du devoir, ont participé au façonnage d'une
forme de modernité.
Par ailleurs, comme dans Capitaine Conan, il convient
de souligner une photographie caractéristique, emprunte
d'un réalisme poétique volontiers crépusculaire
qui veut exprimer une période transitoire. Le chef
opérateur Alain Choquart tient le récit au chaud
en lui insufflant un lyrisme nécessaire qui camoufle
l'hétérogénéité du film.
Au final, Tavernier signe " un
film fier " (pour citer les mots de l'intéressante
prostituée jouée par Marie Gillain ) où
les personnages affrontent les réalités d'un
univers en décrépitude, avec panache ou abjection.
Loin du Dernier métro de Truffaut, Tavernier
s'adresse à un spectateur plus cinéphile,
même si son Laissez-passer ne manque pas de
charme au détour de quelques surprises. Toutefois,
dans l'exercice de l'éloge, loin de dispenser quelques
leçons de cinéma, Tavernier se fait plus volontiers
moraliste, et prend le risque de lasser.
En entendant l'intervention du cinéaste en voix off
dans l'épilogue du film, avec ses accents pathétiques
de la première personne du singulier bien placée,
il nous prend l'envie de quitter la salle sur la pointe
des pieds,sans troubler l'extase de Bertrand Tavernier devant
son train électrique.
Titre : Laissez-passer Réalisation
: Bertrand Tavernier Scénario
: Jean Cosmos et Bertrand Tavernier Photo
: Alain Choquart Avec
: Jacques Gamblin, Denis Podalydès, Marie
Gillain, Charlotte Kady, Marie Desgranges, Maria
Pitarresi, Ged Marlon, Philippe Morier-Genoud,
Laurent Schilling, Christian Berkel, Richard Sammel,
Olivier Gourmet, Liliane Rovère, Serge
Riaboukine, Christophe Odent, Pierre Lacan, Niels
Dubost, Pierre Berriau, Jacques Boudet, Décors
: Emile Ghigo Montage :
Sophie Brunet Costumes
: Valérie Pozzo di Borgo Producteur associé
: Christine Gozlan Son
: Michel Desrois, Gérard Lamps et Elisabeth
Paquotte Musique Originale :
Antoine Duhamel Production
: Alain Sarde, Frederic Bourboulon, Les Films
Alain Sarde, Little Bear, France 3 Cinéma,
France 2 Cinéma, KC Medien, Vertigo Distributeur
: Bac Films Format
: image 2.35:1 - Couleur Durée
: 170 minutes Sortie
: France 9 Janvier 2002