Du briefing matinal de l’attaché
de presse dans la voiture aux grands meetings en passant par
les réunions à huis clos et les moments d’isolements
du candidat, Depardon alterne les investigations de terrain
et les captations en lieux clos (une méthode qu’il
ne cessera de développer par la suite). Des conversations
anodines avec les élus locaux aux petites phrases assassines
adressées à un collaborateur avant le décollage
d’un avion, tout y passe. Mais pas dans n’importe quel ordre.
Car dès les premières images, Depardon s’oriente
plus vers le portrait que vers la captation de la campagne
au sens large.
Dans l’intimité et
les réunions de QG de campagne, Depardon reste focalisé
le plus possible sur son personnage, avec bien souvent la
main heureuse qui le caractérise et nous laisse penser
qu’il entretient une mystérieuse complicité
avec le hasard. Les stratégies de campagne apparaissent
clairement, les propos sont encadrés par des faits
significatifs. Il y a par exemple cette scène où
Giscard est en conversation téléphonique avec
Mesmer (à l’époque Premier ministre). Giscard,
qui n’est encore que candidat, parle de manière sèche
et autoritaire à Mesmer. Après avoir raccroché
le téléphone, Giscard siffle son chien qui accourt
docilement.
Des exemples comme celui-ci
nous amènent à constater que ce film porte en
germe une forme de syntaxe qu’on retrouvera dans les autres
films de Depardon. En effet, Depardon sait donner le sentiment
que ses films se font progressivement sous nos yeux, tout
en laissant transparaître ici ou là des éléments
qui relèvent d’un réel point de vue.
D’évidence, l’impression
d’images volées cède souvent la place aux images
données, et Giscard n’hésite pas à tomber
le masque lorsqu’il explique à son QG entre les deux
tours de l’élection la stratégie à adopter :
" C’est une élection gagnée d’avance
si on ne fait rien ".
À ce moment, la spontanéité
et la décontraction du personnage candidat découlent
d’une réelle stratégie. Giscard dit explicitement
qu’il lui faudra simplement paraître " rassurant,
convenable, gentil…" : pour gagner face à
Mitterrand, il ne doit pas se montrer belliqueux. Il veut
ratisser large. Il expose sa stratégie à plusieurs
reprises : une démagogie simple et efficace.
L’aveu du simulacre permet
à Depardon de se débarrasser d’une éventuelle
envie de porter son attention sur les discours du candidat
face aux électeurs. Ce qui l’intéresse c’est
l’avant, l’après, et la foule. Pendant les scènes
de meetings et les séances de bains de foule, Depardon
ne se détourne de Giscard que pour nous donner à
voir un contrechamp très intéressant…Les gens
qui boivent ses paroles ne ressemblent pas forcement à
l’image que l’on se fait des Giscardiens. Il y a des jeunes,
des ouvriers, des ruraux et des cadres, mais c’est surtout
la jeunesse qui attire l’attention. C’est une France éclectique
qui voyait en Giscard une certaine modernité, incarnée
par un ministre des finances de 48 ans issue de la société
civile qui portait des costumes droits et des cols en V avec
une certaine décontraction.
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