Le personnage du violeur, tout juste
défini, est d’une inconsistance la plus totale, le rendant,
sans doute consciemment, complètement abstrait, il empêche
l’explication de son acte et donc la naissance d’une réflexion
sur la pulsion, censée constituer un aspect du film.
Noé n’a pas envie de creuser, juste provoquer, mais il
se rend compte que ça ne suffit pas à faire un
film, alors il faut quand même avoir l’air intelligent,
montrer qu’on a compris la vie, être intouchable, faire
preuve de cynisme puis de moralisme, être conservateur
et libéral, être noir et blanc mais en couleurs.
On comprend alors que le cinéaste est trop préoccupé
de savoir comment il sera perçu pour se concentrer sur
son film. Il a peur de se livrer, d’être mis à
nu, la provocation devenant un moyen pour se protéger
d’une critique qu’il refuse d’emblée. Il préfère
s’occuper de l’extérieur que de l’intérieur.
La place du spectateur,
Voilà bien un sujet qui préoccupe Gaspar Noé,
a tel point que son film est à la limite de l’objet
expérimental sur le traumatisme. Mais si les procédés
sont nombreux (plans séquences réalistes – là
aussi, il y en a de plus réussis que d’autres -,
caméra virevoltante, infra-sons nauséeux,…),
la mise en scène tourne vite au maniérisme et
l’empilage de tous ces effets tourne vite à la surenchère
bébête. Gaspar Noé serait-il au cinéma
d’auteur ce que Luc Besson est au grand public ? Certainement.
Le réalisateur souffrant d’un égo surdimensionné
ne supporte pas l’idée que quelqu’un puisse " récupérer "
son film de quelque manière que ce soit. Alors il s’acharne
sur le spectateur qu’il semble haïr plus que tout (on
sent les idées préconçues sur le public
de son film à plein nez – Noé les imagine petits-bourgeois,
intellectuels, néo-libéraux,… ), à tel
point qu’il finit par leur servir ce qu’ils attendent :
un traumatisme immédiat mais oubliable, un petit tour
de montagne russe bien propret et, là encore le serpent
se mord la queue. Mais le plus dommage est qu’il ruine par
cela toutes ses chances de faire vivre les vrais enjeux du
film que sont le rapport à l’image et la réflexion
sur la nature humaine et ses pulsions. Et du coup, le film
n’est pas si insupportable que ça, ni même profondément
dérangeant, car pour déranger il faut toucher
là où ça fait mal, ne pas s’arrêter
à la surface des images, installer une logique, complètement
absente ici. Gaspar Noé devient alors tout juste ce
qu’on voit de lui dans les médias : un sale gosse
impénitent en pleine crise d’adolescence cinématographique.
Godard disait récemment que la plupart des films actuels
sont décevants car " c’est le metteur en
scène lui-même qui interprète son propre
sujet et qui filme ce qu’il dit qu’il filme et non pas ce
qu’il voit. " Irréversible en est
l’illustration la plus parfaite.
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Titre :
Irréversible
Réalisateur
: Gaspard Noé
Scénariste :
Gaspar Noé
Directeur de la photographie
: Benoît Debie
Acteurs :
V. Cassel, M. Bellucci, A. Dupontel, P. Nahon
Costumes :
Laure Culkovic
Chef décorateur :
Alain Juteau
Production
: Nord-Ouest Productions
Producteur :
Richard Grandpierre
Coproducteur :
Christophe Rossignon
Festival :
Cannes 2002 – Sélection officielle en compétition
Distribution
: Mars Films
Interdiction :
- 16 ans
Sortie France
: 24 mai 2002
Pays :
France
Année :
2002
Durée
: 1h 39
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