POINT DE VUE
Récit en partie autobiographique,
Adresse Inconnue est le film qui a fait connaître
Kim Ki-duk dans le monde entier. D’ors et déjà
mythique, dont la simple évocation du titre fait frissonner
l’échine des amateurs de cinéma asiatique, Adresse
Inconnue était présenté en avant-première
parisienne à l’Etrange Festival, en présence
de son cinéaste.
Adresse Inconnue
part d’un " grand sujet ", un tabou majeur
dans la société coréenne : les troubles,
moteur de douleur et de tragédie, qu’entraîne
la présence militaire américaine sur le territoire
coréen. En effet, plus d’une trentaine de bases y sont
disséminées depuis la Guerre Froide. Cette importante
dimension sociologique eut pour conséquence inattendue,
lors de la discussion qui suivit la projection, d’entendre
nombre de questions …En coréen, posé par des
coréens (coréennes seraient plus juste) en exil
s’étant déplacé pour l’occasion. C’est
dire que les répercussions du film sont importantes,
et que ce qui s’y joue reste toujours d’une réelle
actualité. La sensation de voir se réaliser
impérieusement, dans un auditorium jusque-là
ouvert aux plaisirs décadents du cinéma d’exploitation,
une réalité connue mais lointaine, était
aussi indescriptible que bouleversante. Comme si le monde
extérieur s’était invité, poliment mais
avec la fermeté d’une douleur à partager.
C’est sur le modèle
de la désagrégation d’un écosystème
que se construit Adresse Inconnue : des faits
tout d’abord insignifiants, puis entraînant en cascade
des bouleversements considérables dans l’équilibre
de la communauté, jusqu’à atteindre un nouveau
cycle, débarrassé des éléments
n’ayant pas survécu à la sélection
naturelle. Il faut cependant dire qu’il n’y a pas ici de
fatalisme, mais l’observation scrupuleuse d’un Inexorable,
aussi incontrôlable et nécessaire que le cycle
des saisons. L’une des premières images du film,
la levée de drapeau sur la base américaine,
voit ainsi la bannière étoilée se dissoudre
dans le paysage par un fondu enchaîné : le
" rêve américain " imprègne
l’espace, y introduit le germe d’un ailleurs meilleur. Mais
par son altérité radicale et surtout, hermétiquement
préservé de la population locale, ce qui fait
trace relève de la pulsion : une fascination
pour la violence et la force, et l’incontrôlable du
désir sexuel.