Une lutte à mort s’instaure entre
deux camps : les " Natifs ",
dirigés par Bill le Boucher, un borgne à l’œil
de verre dont la passion est l’éventration des cochons
quand ce n’est pas celle des hommes (impressionnant Daniel
Day-Lewis) ; camp se proclamant fondateur de l’Amérique
et les " lapins morts ", des immigrés
pour la plupart irlandais, dirigés par le prêtre
Vallon (Liam Neeson), père d’Amsterdam, le petit garçon
(Cian McCormack, enfant et Léonardo Di Caprio, adulte).Le
père meurt, assassiné sauvagement au couteau
par Bill, sous les yeux de l’enfant. Le futur d’Amsterdam
est dès lors tout tracé ; ce sera celui
de la vengeance.
Le film reconstitue avec brio dans les mythiques studios de
Cinecitta (fabuleux travail notamment du chef décorateur
italien, Dante Ferretti et de son équipe), un New York
inconnu, sordide, miteux, boueux, entre bordels, saloons,
habitations décrépites et surpeuplées,
où le vol, le crime au couteau, à la hache ou
à la pioche, dominent et ce, jusqu’à l’absurde.
Une séquence montre parfaitement la limite du fonctionnement
en camps, en clans, lorsque deux compagnies de pompiers d’appartenance
opposée, se battent jusqu’à la mort, au lieu
d’éteindre les flammes d’une maison en feu devant eux…
C’est l’anarchie la plus totale,
la loi du plus fort, de la survie qui règne en maître
dans ce New York là, comme aux origines du Monde. " L’Hommeest un loup pour l’Homme ", la célèbre
phrase de Hobbes est plus que jamais illustrée dans
ce contexte…
Dans le même ordre d’idées,
Scorsese filme explicitement la Bible que vient de jeter Amsterdam,
Bible qui se noie dans l’onde jusqu’à disparaître
totalement… Quand on connaît le puritanisme éternel
des Etats Unis, c’est un signe assez fort que nous propose
là, le réalisateur et qui peut nous parler aujourd’hui
même…
Un peu d’humour apporte ici ou là, une respiration
mais le film demeure soutenu par un rythme, un enchaînement
incessant, trépidant, de luttes au corps à corps,
de tueries des plus barbares. Scorsese nous aménage
heureusement aussi, une histoire d’amour entre Amsterdam et
la belle Jenny (Cameron Diaz), une pickpocket hors pair au
caractère bien trempé, maîtresse de Bill,
bientôt d’Amsterdam et qui rêve d’un ailleurs...
Le plus intéressant, fil conducteur d’ailleurs de toute
l’histoire, est donc la destinée même du héros
Amsterdam. Il retrouve Bill qui deviendra son quasi nouveau
père d’adoption. Ce dernier domine tout le quartier
et mieux vaut être avec lui que contre lui. Tout le
monde travaille donc pour Bill, en a peur, se trahit, même
Amsterdam mais c’est pour la " bonne "
cause : sa vengeance.
Bill va s’attacher
au jeune homme courageux, lui apprendre le lancer de couteau,
ignorant tout de son identité. La filiation est comme
réinstaurée, la boucle, bouclée et
l’histoire revient vite au galop. D’anciens complices de
Vallon sont à présent du côté
de Bill mais Amsterdam, lui, ne perd toujours pas le cap.
Il doit tuer le boucher. Toutefois, un attachement réciproque
s’installe entre les deux hommes. Etrange et complexe attachement
que celui de la victime à son bourreau…Puis l’on
apprend que Bill, malgré le meurtre de Vallon, reconnaît
les valeurs rares de son ancien ennemi : l’honneur,
la grandeur… Etonnante et unique confession d’humanité
qu’il fait à un Amsterdam muet…
L’histoire recommence, doit recommencer donc. Amsterdam
reconstitue le clan disparu de son père tandis que
le Monde commence à basculer, la démocratie,
à balbutier, cherchant ses fragiles fondements. Malgré
le contexte changeant et sous les obus de la guerre de Sécession
qui commence (1863), les deux hommes vont s’affronter dans
un duel primitif final dépassé, déjà
d’un autre temps. Mais ils iront jusqu’au bout.
Au delà de la reconstitution, de la méticuleuse
recherche historique faîte (d’authentiques gravures
noir et blanc ponctuent le film) avec grands renforts de
tambours et filmage parfois hélas, un peu trop " clip "
(ralentis, flous, rapidité, musique mode : U2),
Martin Scorsese veut nous parler sans doute aussi, d’aujourd’hui.