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Zatoichi (c) D.R.

Il y a quelque chose de foncièrement désopilant et de tragiquement beau dans ce personnage. On nous le présente comme étant un masseur alors qu’en fait, on ne le voit que très rarement se mettre à l’ouvrage. En réalité, il masque des dons, comme il cache son sabre dans la canne qui lui sert d’appui, et semble bien plus doué dans les jeux (il ne connaît aucune défaite, à la grande stupéfaction de son camarade Shunkichi qui va être tenté de le copier), les combats (il trucide plus vite que son ombre) et les passe-temps (il coupe le bois avec une précision drolatique). Il se distingue par un maniement du sabre parfait, au grand dam de ceux qui ont eu la malchance (ou l’audace) de croiser son chemin, comme ces deux quidams qui l’agressent lâchement en pleine rue et qui pensent tomber sur un handicapé incapable de se défendre.

De manière fréquente, le film repose sur un paradoxe qui consiste à montrer les talents cachés des uns, les secrets enfouis des autres, à décrypter les apparences trompeuses et à contourner habilement les clivages du genre. En prenant tous les codes à revers, en allant là où il est généralement pas bon de musarder, Zatoichi ménage des surprises imprévisibles et constantes qui contribuent à séduire le spectateur. Sur près de deux heures, cela relève du coup de maître.

  Zatoichi (c) D.R.

En toile de fond, le onzième film de Kitano dépeint avec acuité les dysfonctionnements d’un village japonais où les habitants, majoritairement composés de paysans, doivent payer une taxe injuste. Grâce à Zatoichi, un héros très discret, les villageois vont passer d’un joug délétère et tyrannique à une liberté égalitaire et tranquille. Le film qui passe d’un état à l’autre pourrait être divisé en actes dans lesquels les personnages doivent faire face à une oppression de plus en plus pesante et insupportable. De manière régulière, Zatoichi provoque deux émotions contradictoires : l’euphorie et la mélancolie. Un peu comme lors de l’épilogue explosif où un numéro anthologique de claquettes sur fond de hip-hop côtoie un événement dramatique et imprévu qui vient contrarier l’ambiance. Cette oscillation contrastée et antinomique est représentative d’un film qui impressionne par sa violence graphique, génère des effets inattendus et provoque une gamme variée d’émotions.

Tadanobu Asano, dont on sait la capacité à être sobre et passionné depuis l’excellent Tabou de Nagisa Oshima, endosse le rôle d’un samouraï ronin qui veut devenir le garde du corps de Ginzo, le chef qui fait régner la terreur. En réalité, son personnage est plus intéressé que réellement dangereux: ce n’est pas qu’il souhaite se rapprocher de Ginzo ni de ses idées, c’est qu’il le doit, dans l’unique dessein d’obtenir l’argent nécessaire pour aider sa petite-amie malade. A la fois nomade et fidèle, Zatoichi vit reclus chez une dame qu’il a aidé. Pendant tout le film, il est inflexible et invincible jusqu’à ce qu’une pirouette finale montre l’unique faiblesse du personnage (le hasard) et souligne une ironie du sort universelle: toute notre vie repose sur l’impossibilité de préméditer, de certifier, et la présence récurrente du doute, de l’inquiétude. Dans ce monde, on ne peut pas être tranquille ou faire confiance aux gens tant ces derniers sont versatiles et pour la plupart extraordinairement couards. Loin de faire dans la peinture manichéenne, Kitano montre que ce sont justement ceux qui donnent l’impression d’en faire le moins qui en font le plus.