Polar (sub)urbain, ce film pourrait
presque être un polar « social ». Les faits s’inscrivent
dans un contexte réel, celui d’une délinquance hexagonale
en nette augmentation, d’une violence de plus en plus gratuite
et professionnalisée. Le cinéaste n’oublie pas les traits
caractéristiques des luttes du monde prolétaire comme des
quartiers difficiles : tandis que les sauvageons sont
allergiques aux uniformes et veulent en croquer, « Butagaz »
(Gilles Gaston-Dreyfus) tentent de convertir ses collègues
et les nouveaux venus chez Vigilante à la protestation syndicale.
Le racisme des convoyeurs est suggéré dans leur hostilité
à Karim (Sami Zitouni) ; « Maintenant, ils engagent
même les Arabes ! » dira cyniquement « La
Momie » – une hostilité mâtinée de prudence qui
s’avèrera, dans un certain sens, justifiée. La situation
précaire d’Isabelle et son fils, femme de chambre à l’hôtel
où réside Alex, poussera ce dernier à faire sa BA, touché
par une compassion qui s’explique dans le passé familial
mais aussi social du héros. Enfin, la symbolique des « Ricains » qui
s’apprêtent à faire main basse sur la société en crise ne
peut que renvoyer au monde économiquement mondialisé dans
lequel nous vivons, ses dépôts de bilan, plans sociaux et
fusions. Mais elle évoque aussi cette Amérique à la fois
crainte culturellement et enviée, respectée, voire vénérée,
celle des films qui ont pu justement influencer le réalisateur
du Convoyeur. Alors qu’Emilio-Siri transcrivait les
codes du huis clos, du film de siège ou de zombies dans
un contexte européen – la moyenne délinquance strasbourgeoise
alliée à un ersatz d’Europol contre le gangstérisme
albanais – Boukhrief puise dans les artifices et l’ambiance
du cinéma de genre américain en les transposant dans une
situation française. Et si les « Ricains » représentent
une menace pour les employés de Vigilante, le dernier film
de Nicolas Boukhrief n’a pas à rougir de la comparaison
avec bon nombre de réalisations du même type originaires
d’outre-Atlantique, d’autant que le jeu de Dupontel et le
destin bouleversé de son personnage confèrent au film une
touche d’humanité en plus.
1)
Suprême NTM, « Pour un nouveau massacre »,
1993…J’appuie sur la gâchette, 1993. 2)
Suprême NTM, « Popopop !! (freestyle) »,
Paris sous les bombes, 1995. 3)
Personnel féminin de l’armée de terre.
Nicolas Boukhrief
: Né en 1963 à Antibes, Nicolas Boukhrief lance
au début des années 80, avec entre autres Christophe
Gans, une revue portée essentiellement sur le
cinéma nord-américain ou asiatique, énergique
et formaliste : Starfix. Lui et ses
camarades souhaitent voir les nouveaux cinéastes
français se diriger vers les effets spéciaux et
les nouveaux médias. Quelques années plus tard,
il devient réalisateur pour Le Journal du Cinéma
de Canal Plus. Responsable de Canal + Ecriture
aux côtés de Richard Grandpierre de 1994 à 1997,
il fonde par la suite avec ce dernier la société
Eskwad, qui a depuis produit Le Créateur
d’Albert Dupontel (1999), Le Pacte des Loups
de Christophe Gans (2001) ou encore Irréversible
de Gaspar Noé (2002). Il présente à la fin des
années 90 dans Mon Ciné-club, toujours
sur la quatrième chaîne, ses choix personnels
en matière de 7e Art... En tant que
scénariste, il a participé à l’écriture de Tout
le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents
communistes de Jean-Jacques Zilbermann (1993)
et Assassin(s) de Mathieu Kassovitz (1997).
Réalisateur de trois films à ce jour, Va mourire
(1995), Le Plaisir (et ses petits tracas)
(1998) et Le Convoyeur (2004), il est l’auteur
de chaque scénario, les deux derniers ayant été
co-écrits respectivement avec Dan Sasson et Eric
Besnard.
Titre : Le Convoyeur Réalisateur : Nicolas
Boukhrief Acteurs : Albert
Dupontel, Jean Dujardin, François Berléand, Claude
Perron Scénario : Nicolas Boukhrief,
Eric Besnard Photo : Dominique Colin Musique : Nicolas Babi Production : Eskwad Distribution : Mars
Distribution Sortie le : 14 Avril
2004 Durée : 1h 35mn Pays : France Année : 2003