Ici, un téléphone portable vibre
sur une table en bois, là une jeune fille manifeste de manière
saccadée son plaisir, ici un ballon tombe d’une falaise,
là la même jeune fille dévoile sa poitrine. Ainsi surgissent
du quotidien des événements arrachés à l’ennui, à la laideur,
à la banalité. Ainsi s’offre une nouvelle expérience de
l’univers immédiat, neuve, presque primitive. Rien n’échappe
au quotidien, pas même les sons, pas même les gestes (ceux
du rite comme ceux de l’amour physique). Tout se passe comme
si le regard, en aspirant à la neutralité, se contentait
de décrire les choses (corps et objets) passivement, sans
qu’aucun jugement n’intervienne dans la définition de ce
qui est vu, et donc par le truchement du cadre. Cette neutralité
naît avant tout d’un refus permanent d’imprimer au montage
un rythme. Ainsi avant que le ballon ne s’égare, on le voit
dévaler les marches du village, plan après plan, le ballon
ne cesse de descendre, comme si le réalisateur souhaitait
en prolonger le mouvement : l’événement ne vaut plus
que par le temps qu’il rend palpable. La neutralité ailleurs
est pour ainsi dire mimée au moyen de raccourcis. Une ellipse
pour le moins naturaliste permet par exemple de passer d’un
plan où un vieil homme propose à une jeune fille de la prendre
en voiture à un plan du même homme – cette fois-ci déculotté
- sur la jeune fille. L’acte aperçu dans toute sa crudité
n’a ni début ni fin, l’homme s’affaire tandis que la fille
ouvre grand la bouche, le plaisir s’insinue en dépit de
la dureté de la scène : l’amour ne procède plus que
d’un appétit. Le regard du réalisateur se fait à cet endroit
amoral, et tente de toucher par là un état idéal du cinéma-vérité.
Cette tentative trouve bien entendu sa limite dans des plans
certes moins influencés par le cinéma que par la peinture :
plans panoramiques de paysages d’abord, longs et contemplatifs,
qui penchent parfois du côté de l’abstraction ; plans
américains ensuite, à l’image de cette jeune femme dénudée
qui, aperçue à distance, n’est pas sans rappeler la pudeur
et dans le même temps la sensualité de Vermeer. En somme
Il Dono est pris entre deux inclinations : le
désir de voir et le plaisir de voir. D’un côté marqué par
le fantasme têtu d’une hypothétique trace pure (c’est-à-dire
intacte de l’empreinte indésirable de celui qui regarde),
il a de l’autre les vertus d’un cinéma patient et contemplatif,
parsemé ça et là d’imperceptibles épiphanies.