« Tu n’as aucune idée de ce
qui se passe ici », lance la belle-mère à son amant,
de façon plutôt inattendue et énigmatique. Personnage illégitime
par excellence mais dont le réalisateur s’abstient justement
de faire un portrait psychologisant, elle apparaît tout au
long du film comme la détentrice de la solution de l’énigme,
solution qui permettrait un dénouement de l’histoire sur un
mode dramatique des plus classiques. On aurait alors assisté
à une scène de couple entre un homme fâché envers une amante
qui n’aurait su gérer une situation de crise avec les enfants.
La scène de l’amphithéâtre est à ce titre exemplaire, lorsque
la femme apparaît de dos, en plan rapproché, sur les hauteurs
de l’édifice, observant le père s’agiter en bas, dont le désespoir
est proportionnel à l’ignorance des faits. Le personnage de
cette femme prise dans son dilemme gagne ainsi en épaisseur,
son silence faisant d’elle un être dont la responsabilité
se situe bien au-delà d’une simple faute qui ne mériterait
que reproche et condamnation sur un registre moral. La culpabilité
est bien présente dans ce récit. Elle en structure d’ailleurs
l’édifice car son expiation aurait coupé court à tout développement.
Mais cette culpabilité est traitée de telle façon que se développe
progressivement un sentiment d’horreur, elle prend une dimension
plus métaphysique que morale, attribuant ainsi à cette femme
des relents diaboliques.
Christoph Hochhäusler a également
recours à l’allusion comme procédé d’évocation de l’horreur.
Alors que les enfants ont été recueillis par un Polonais que
seule la promesse d’une rançon motivera pour ramener les enfants,
ce dernier est surpris par la belle-mère en train de frictionner
l’enfant nu après une douche dans les toilettes publiques
d’une aire d’autoroute. Il semblerait alors que la femme ne
puisse s’empêcher d’imaginer un enlèvement aux motifs sexuels
des plus pervers, faisant écho au mari qui, plus tôt dans
le film, alors qu’il croyait à la disparition définitive de
ses enfants, s’exclame que celui qui fait une telle chose
doit être un « monstre ».
Et pourtant, le monstre pourrait bien
en être un, mais pour d’autres raisons. La personnalité de
cet inconnu, Kubas, est diamétralement opposée à celle des
parents de l’autre monde, dont les portraits sont bien plus
tranchés. Le monstre n’est pas essentiellement mauvais :
ni ravisseur, ni violeur d’enfant, mais simplement animal,
ne réagissant aux circonstances que de la façon la plus pragmatique.
Même l’argent de la rançon n’a finalement aucune valeur d’absolue,
il s’en détache pour se débarrasser des enfants qu’il ne saurait
supporter plus longtemps. L’enfance bénéficie d’ailleurs d’un
traitement aux antipodes des adaptations enjolivées des contes.
Si Grethel n’hésite pas à enfermer la méchante femme dans
un four pour la brûler vive, les enfants n’ont chez Christoph
Hochhäusler aucun scrupule à pratiquer le chantage ou à avoir
recours à l’empoisonnement.
De par sa grande clarté et sa bande sonore composée de sons
rauques ou stridents et de gongs rythmant l’évolution du récit,
Milchwald dégage finalement une sensation d’angoisse
caractéristique du Angst de la tradition romantique
allemande. Angoisse de par la structure d’un récit qui demeure
comme suspendu suite à une faute non expiée et en attente
d’une issue que le spectateur peine à se représenter. Angoisse
également de cette histoire au contenu certes réaliste, mais
qui, grâce au pouvoir de suggestion et au recours à l’allusion,
pactise avec le merveilleux pour mieux nous en faire ressentir
l’horreur.
Titre : Le Bois lacté Réalisateur : Christoph
Hochäusler Scénario : Benjamin
Heisenberg et Christoph Hochhäusler Acteurs : J. Engel ,
H. Günther-Marx, S. Conrad, L. Bruckmann, M. Baka Musique originale :
Benedikt Schiefer