LES CLOCHES, LA FUSEE ET LE FEU D’ARTIFICE
Deep Throat de Jerry Gérard, Gorge Profonde
en français, est un film porno fantastique, deux genres du cinéma rarement
confondus. L’histoire est celle d’une femme qui n’atteint pas l’orgasme, et
ce, malgré les efforts d’une amie bien intentionnée ; elle lui organise des
rencontres sexuelles ainsi qu’une grande opération de “ partouze ”,
chaque homme ayant un numéro et une position à assurer. Et aucun n’assure,
justement. Elle décide, sur les conseils de son amie, d’aller consulter le
docteur Young, ce qui nous donne une séquence drolatique, avec un docteur
Tournesol tout occupé à souffler des bulles de savon. Ce psychologue s’avère
être pour l’occasion un gynécologue armé d’une lunette de physicien pour voir
de plus près l’objet du délit, à savoir le sexe de la femme. Il n’y a pas
de clitoris, le mystère est partiellement résolu quant à l’absence du plaisir.
Entièrement lorsque, sous les larmes de honte, elle explique éprouver un immense
frisson de plaisir au moment de déglutir. La gorge est le siège du plaisir
de Linda, son clitoris doit être encore plus excité lors du rapport sexuel
buccal : la fellation devient ainsi pour la femme l’unique posture sexuelle
à savourer sans contrainte. Linda Lovelace, l’héroïne, est cette gorge profonde
qui, sous l’emprise de la jouissance, entend les cloches sonner, s’ébranle
et explose comme une fusée spatiale et voit le feu d’artifice. La suite du
récit montre tous les moments de plaisirs qu’elle procure et ressent avec
cet organe inouï. Allant jusqu’à servir de nurse pour les névrosés du docteur
Young, sa gorge au service du Bien et de la santé morale. Jouissance de l’image
pornographique à la fois totale et envahissante.
Le porno comme le cinéma
fantastique table sur la dimension extraordinaire de l’image
: voir ce qui est impossible à voir en temps ordinaire, l’un
comme l’autre jouant sur l’exhibition, de manière plus ou
moins outrancière. Ici, le film est pris entre deux figures
; celle de la jouissance de l’image pornographique des actes
sexuels non simulés et l’image de ce clitoris que l’on ne
verra jamais, une économie du visuel pour faire un effet spécial,
par absence. L’effet spécial existe en creux, il acquière
une vraisemblance pour le spectateur par les paroles et comportements
des personnages qui agissent en fonction de cette monstruosité
de la nature. Autant l’image pornographique est du domaine
du remplissage, l’image doit être opératoire et efficace pour
un effet optimal sur le spectateur, autant l’effet spécial
du fantastique ici est de l’ordre du doute et donc il convoque
plus particulièrement la croyance du spectateur dans ce que
l’on ne lui montre pas, mais seulement par ce que suggère
des attitudes et des paroles.
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