Prenons la séquence chez
le docteur : elle est double, à la fois pornographique, elle
montre des actes sexuels non simulés, et fantastique par la
découverte du clitoris dans la gorge. Il regarde son sexe
avec une lunette - le comique instaure une distanciation entre
le dit et le montré, créant ainsi de la part du spectateur
une plus grande complicité avec la scène, tout devient permis
dans le monde de la farce - ce sexe sans poils nous est exposé
dans sa vérité physique, ici pas de trucage, c’est bien le
sexe de Linda. Et il dit “ La petite chatte n’a pas de langue ”.
Cet énoncé fait basculer la scène pornographique du côté du
fantastique, de l’étrangeté physique. C’est le règne du monstrueux
invisible, dans les profondeurs de la gorge auscultée. La
série B peut être convoquée pour cette scène, comme elle,
c’est sur l’économie de moyen que fonctionne le récit fantastique
et la vraisemblance. Dans La Féline de Jacques Tourneur, nous
n’assistons jamais en direct à la transformation de Simone
Simon en panthère noire. Tout un jeu d’ombres et de sons suggère
cette invraisemblance, des marques de griffure après son passage,
le bruit des feuillages secoués par un corps animal dont on
ne voit que l’ébauche de son ombre. Ici, le procédé est à
son plus haut niveau de suspension du souffle et du désir
du spectateur de voir, tandis que pour Deep Throat, il est
réduit à sa plus maigre expression : la parole du docteur.
Elle est le seul indice du monstrueux. L’effet spécial serait
éminemment féminin. Cette gorge est le gouffre où se réfugie
le sexe dur des hommes. Le propre de ce genre n’est pas d’être
réaliste mais exhibitionniste, et le montage suit ce mouvement
: on passe du plan d’ensemble au très gros plan sur cette
gorge s’offrant au sexe bandant qui se voit happé goulûment
par une bouche vorace, enveloppante, totalement aspirante.
La bouche et la gorge ordonnent le temps de l’action. La caméra
est au plus près de ce trou sombre.
Alors que le sexe féminin
peut faire l’objet d’effets spéciaux, celui de l’homme non.
L’érection, la pénétration et l’éjaculation sont les trois
ordres policiers du porno. Impossible de les nier, ou de les
simuler dans le règne de la pornographie. Abolition du faux-semblant,
du hors-champs, tout est dans le cadre, dans la bouche, dans
le sexe, dans le cul. L’enjeu du porno est l’efficacité, la
performance, la réussite. Le sperme est la preuve formelle
de la réussite de l’acte et sa conclusion. Le film offre une
échelle de plans assez simple pour démonter le caractère véridique
de l’acte sexuel : du plan d’ensemble sur les corps (identification
des personnages) au plan rapproché (les visages féminins ici
comme attestation du plaisir ) pour se conclure le plus souvent
au très gros plan des sexes humides en action. Le cadre est
au bord de l’explosion, la caméra ne peut physiquement pénétrer
plus loin la chair. L’impression de réalité est renforcée
par le désir de réalité du spectateur, pour lui le porno se
doit d’être capable d’avérer la jouissance. L’effet peut devenir
très spécial : un plan dans le film, juste avant la séquence
chez le docteur, atteint cette dimension quasi impossible
à l’échelle de plan. Linda est pénétrée par un des nombreux
hommes, convoqué par son amie pour la faire jouir. La caméra
filme de face en contre-plongée le sexe mâle pénétrant le
sexe féminin rasé. Le cadre est plein de ces deux peaux collées,
frottées. L’extrême vision s’offre au regard du spectateur,
totalement agrippé comme la caméra aux hardeurs. Plus
près d’eux est impossible, ou alors c’est une autre histoire,
Le Voyage Fantastique de R.Fleisher par exemple. Cette image
est belle car elle atteint par sa radicalité une poésie de
la chair, le mouvement continu et répétitif de l’homme se
cognant au con de la femme acquiert une dynamique hallucinatoire.
Le spectateur comme la caméra têtue, accrochée, ne peuvent
que voir, encore et encore.
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