....................................................................
|
LA
PREUVE PAR L’IMAGE
Avec quoi allez-vous
me surprendre aujourd’hui ? Le rédacteur en chef des journaux de News Net débute la journée par cette
adresse à ses « troupes » de reporters, prêts à vendre père et mère
pour décrocher le scoop qui fera grimper l’audience de la chaîne. Au menu
aujourd’hui, l’arrivée d’orphelins pakistanais qui viennent trouver refuge
en Idaho, USA. Tout se corse quand le gouverneur de l’Etat décide de fermer
ses frontières à toute arrivée d’immigrés. Branle-bas de combat à la Maison-Blanche
et dans les couloirs de la chaîne-info : les premiers envoient l’armée sur
place, prête à lancer l’offensive, quant aux journalistes, ils avancent en
rangs serrés, la caméra au poing, pressés de couvrir l’événement le plus grand
depuis la guerre du Golfe : la « deuxième guerre civile américaine».
|
|
|
|
L’histoire se passe, nous
dit un carton au début du film, « à un moment quelconque
dans un avenir proche », mais toutes les conditions
sont apparemment réunies pour qu’elle se déroule dès demain.
Le film d’anticipation rehaussé d’un bon volume de caricature
a toujours pris de forts accents de vérité. Il n’y a qu’à
voir le terrifiant documentaire La planète CNN de Frédéric
Laffont pour se convaincre définitivement du réalisme de ce
film de fiction.
C’est ce qui fait le prix de cet incroyable
Civil War, le dernier film de Joe Dante qui sort en
catimini en France, via le réseau des films en location vidéo,
alors qu’il a apparemment réjoui critiques et public présents
au Festival de Venise où le film a été projeté en séance spéciale.
(cf. Libé, Les Inrocks, Positif, etc.).
L’auteur de Gremlins, frère inspiré d’un Spielberg
essoufflé, confirme une fois de plus qu’il n’est pas seulement
le rigolo nostalgique des années 60 (cf. son film Matinee),
mais un observateur incisif de son époque, un critique clairvoyant
des tares de la société américaine. Civil War s’inscrit
également dans la thématique de la dualité et de l’altérité,
défendue dans la plupart de ses films : l’ennemi à l’Extérieur
ou à l’intérieur de l’être humain, la paranoïa (tradition
américaine bien connue) et ses effets pervers. Dans Civil
War, la peur de l’Autre (ces orphelins pakistanais que
devraient accueillir une Amérique à l’idéal bienveillant et
altruiste) déclenche la crise politique ; elle est l’occasion
pour Dante de dresser un tableau contrasté du melting-pot
américain. La chaîne info apparaît à ce titre comme une métaphore
idéale de la société américaine où la plupart des journalistes
sont issus d’origines différentes et où semble régner une
entente assez illusoire. On comprend en effet très vite que
cette représentation vivante du melting-pot n’existe
que pour satisfaire le plus grand nombre de spectateurs (tel
présentateur latino sera présent à l’antenne non pour ses
qualités de journaliste mais pour sa capacité à fédérer une
audience latino). Dante montre les opinions divergentes et
parfois inattendues sur la question aussi complexe de l’immigration
: ainsi, le gouverneur chinois de Rhode Island, inquiet devant
l’arrivée massive d’immigrés chinois dans son propre Etat,
approuve la décision de l’Idaho de fermer ses frontières.
« On assiste à l’émergence d’un grand bazar politique
bâti sur les ruines du melting-pot » déclare
l’un des journalistes, Jim Kala, lors de l’effervescence régnant
à la Chambre des députés : tous les partis exigent des contreparties
en cas de participation à un conflit contre l’Idaho. Tel député
d’origine indienne de L’Alabama va se déclarer satisfait parce
qu’il a obtenu des terres en compensation. Dante montre la
fragilité du melting-pot américain, et confirme l’illusion
d’une solidarité « nationale ».
|