On imagine la voix du jeune
homme au bout du fil, « Esther, c’est toi ? », on n’ose à
peine entrevoir sa stupéfaction, sa gêne, on essaye de deviner
sa réaction, « je t’ai dit de ne pas m’appeler... »... Elle
ne sait plus ce qu’elle fait, elle trépigne de rage contenue,
de souffrance tue, elle tape du pied, nerveusement, et pendant
ces vingt-cinq secondes où elle acquiesce, gémit et contient
son hurlement de douleur, tout le jeu d’Emmanuelle Devos se
déploie et s’élance dans le chaos de notre sensibilité. Elle
sait très bien ce qu’elle va dire, son silence de vingt-cinq
secondes prépare l’intensité de la phrase, son silence de
vingt-cinq secondes parle pour la phrase qu’elle va jeter
à ses propres fauves, ceux qui sommeillent dans ses yeux,
ses yeux qui ne peuvent admettre la disparition de l’être
aimé, et de l’« être-aimé ».
Son silence hurle pour elle,
pour eux, pour nous.
Pour la phrase qui se prépare,
envers et contre tout, la phrase qui condamne et qui libère,
et qui est plus qu’une phrase, une intonation, une nécessité,
une fureur :
- ...Tu es mort pour moi.
L’écho résonne brutalement.
On ne retient que le mot « mort », au milieu de la phrase,
triomphant de vérité. Et le mot mort, ici, c’est amour, pendant
qu’Esther renaît à elle-même, entre deux sanglots, là où la
vie continue de palpiter, silencieusement.
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2000 Esther Kahn
avec Laszlo Szabo, Ian Holm, Frances Barber
1996 Comment je me
suis disputé... ma vie sexuelle
1992 La Sentinelle
avec Emmanuel Salinger, Jean-Louis Richardt
1991 La Vie des morts
avec Bernard Ballet, Thibault de Montalembert
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