Nous partageons l’écoute
de ces thèmes par le processus d’identification à laquelle
nous contraint Michael Powell (en employant le point de vue
subjectif dès les premières images qui rappelle notre propre
statut de spectateur voyeur), sans toutefois partager le plaisir
du criminel.
La musique provoque en nous
un malaise aussi fort que la jouissance ressentie alors par
le meurtrier. Dès la seconde séquence, lors de la projection
de ses rushes muets, Mark se précipite sur l’écran
en poussant un cri violent de satisfaction. Il a revécu la
scène, se rappelant intimement la musique entendue lors du
meurtre. Lors de la projection, la musique facilite le souvenir
récent : lorsque le développement des images est réussi, elle
comble le désir immédiat du criminel de revivre la scène.
Son rôle devient émouvant
lors de la projection d’un film de famille montré à Helen.
Dans cette scène, où Mark confesse avoir été brimé dans son
enfance, l’introduction de la musique, comme illustration
imaginaire du film amateur, matérialise la voix paternelle.
« Essuie tes yeux » prononce alors un inconnu
que l’on identifie immédiatement comme étant le père disparu
de Mark. Le piano, associé à l’image, a favorisé le souvenir
d’enfance le plus intime.
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Cette voix, aussi troublante
que mystérieuse, réapparaît à la fin du film, quand Mark décide
de mettre en scène sa mort. On retrouve dans cette séquence
la désormais célèbre musique au piano que le voyeur mêle à
des sons enregistrés dans les appartements voisins (grâce
à des micros cachés) et conservés sur bandes magnétiques.
La scène constitue l’achèvement du « projet artistique »
du cinéaste criminel, autant sur le plan visuel (il s’agit
de sa propre peur devant la mort qui est filmée, des flashs
sont méticuleusement installés pour que l’image soit réussie)
que sonore, puisque la bande sonore (réunissant la musique
et ces sons préenregistrés) devient une symphonie singulière
dont le couronnement sera, une fois Mark mort, la résurgence
de la voix paternelle : « ne fais pas le sot, il n’y
a pas de quoi avoir peur ». Cette voix n’est plus
une manifestation inconsciente des pensées de Mark, elle vient
d’une bande magnétique présente à l’image. Suivent aussitôt
les paroles enregistrées de Mark, enfant : « bonne
nuit, papa, tiens-moi la main ». Le voyeur est passé
de l’autre côté du miroir, il a programmé l’éternité de son
image et de sa voix. Cette pérennité s’accompagne musicalement
d’un ajout de cordes sur la musique de piano entendue. L’émotion
affleure. Nous seuls, spectateurs-voyeurs, assistons à ce
que le personnage principal considérait comme le « spectacle »
le plus abouti de sa vie : l’enregistrement de sa peur face
à la mort.
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