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                   A l’image de notre inconnu, 
                    nous devenons « peeping tom » : un voyeur.  
                   Le son d’un réveil mécanique 
                    s’est déclenché. Tic tac tic tac.  
                  Un bruit sec et bref fait 
                    soudain place au retour du piano : la musique s’amplifie, 
                    affiche son irrégularité, son frénétisme, son refus du mélodique. 
                    Elle annonce le meurtre de la prostituée, tuée par l’épée 
                    aiguisée jaillie du pied de la caméra. La séquence sonore 
                    s’achève par le cri de la victime, apex humain violent et 
                    strident. 
                  
                  Cette scène se reproduit 
                    à plusieurs reprises dans le film, avec différentes variantes. 
                    Elle inaugure un rituel dans lequel la musique joue un rôle 
                    essentiel. Systématiquement interprétée au piano, nourrie 
                    de thèmes discordants et sans cesse différents, elle sort 
                    de nulle part et anticipe le meurtre. C’est une musique soudaine, 
                    sans cesse renouvelée, qui revient dans le film à de très 
                    nombreuses reprises, systématiquement lors des meurtres, de 
                    leur enregistrement par la caméra, puis lors de leur projection. 
                  Dans ces cas précis comme 
                    dans quelques autres scènes moins violentes mais attachées 
                    à la personnalité du voyeur, la musique n’est jamais une « musique 
                    d’écran » : le personnage n’est ni pianiste, ni mélomane, 
                    on ne visualise pas la source de cette musique, ce qui amplifie 
                    la dimension irréelle du film. Elle rappelle une tradition 
                    ancienne de la musique comme vecteur d’angoisse dans le cinéma 
                    fantastique et d’horreur. On rappellera à ce titre, la traditionnelle 
                    connotation maléfique du piano (cf. les mains d’Orlac de 
                    Robert Wiene ou d’Edmond T.Gréville - suivant les versions 
                    - où un pianiste perd ses mains accidentellement et se fait 
                    greffer les mains d’un criminel.)  
                  
                     
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                  Michael Powell reprend le 
                    fil de cette tradition en réalisant un film d’horreur sur 
                    un cinéaste amateur qui met en scène ses crimes en les ritualisant 
                    (cf. notamment la scène où il impose ses directives à une 
                    jeune doublure qui rêve d’être comédienne). L’introduction 
                    d’une musique frissonnante amplifie la montée de l’angoisse, 
                    comme dans la plupart des films fantastiques.  
                  Elle joue également le rôle 
                    prévisible de la bande sonore d’un film imaginé par l’apprenti 
                    cinéaste, puisqu’on la retrouve au tournage comme à la 
                    projection du film muet. Mark le voyeur est le compositeur 
                    fantôme (puisqu’on ne le voit pas à l’œuvre) des musiques 
                    de ses propres films. La musique qu’il semble produire mentalement 
                    devient le canal violent et métaphorique de ses pulsions sexuelles 
                    et criminelles, de ses sentiments contrastés. Elle ne participe 
                    pas seulement des activités auxquelles se livre Mark mais 
                    constitue aussi une traduction immédiate de ses pensées : 
                    lorsqu’un soir, pressée par sa voisine, il sort sans sa caméra 
                    et croise un couple qui s’embrasse, la musique interprète 
                    le trouble ressenti par le voyeur et le souligne. 
                     
                     
                     
                   
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