Notre quête d’une description
idéale d’un film serait-elle une mission impossible comme
celle d’un journaliste enquêtant sur le mystère Rosebud
? Mémoire défaillante, inattention, complexité du vocabulaire
technique, difficultés d’un genre littéraire bien ingrates,
copies du film modifiées... Continuons cependant !
Les panoramiques décrits
par le rédacteur de RKO sont enfin nommés pour ce qu’ils sont
: des travellings. Mais en enchaînant sur le plan fixe du
portail orné du K en fer forgé, Welles bloque irrémédiablement
la progression de notre regard, fut-elle ascendante, et nous
laisse au pied de la grille d’entrée, les yeux levés vers
l’inaccessible.
Toutes ces descriptions
ont un point commun (la nôtre, délibérément, n’a pas fait
exception). Elles décrivent un objet cependant invisible :
la caméra. Or, ce que nous voyons ne sont que des grilles
qui descendent. L’arrière-plan est quasiment immobile. La
caméra ne s’élève pas dans une vaine tentative de passer par-dessus
les barrières. Ce sont les clôtures qui font semblant de céder
à notre regard en se baissant, en s’enfonçant dans un mouvement
sans fin.
Aucun dessous de scène de
théâtre, aucune tranchée dans le sol ne saurait être assez
profond pour avaler ces enchevêtrements de fer. Le château
flotte dans la brume. Notre regard flotte aussi devant ce
mouvement sans origine ni fin. Seule la tache d’une fenêtre
offre l’illusion d’un repère stable. On sait ce qu’il en advient.
Sitôt atteinte, elle se transforme en son double retourné.
Mais arrêtons-là la description
: chez Welles, l’illusion d’une illusion est encore une illusion.
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