UN FANTASTIQUE DE L’ORDINAIRE, UN ART
DE LA SUGGESTION
Tourneur sème une multitude d’indices
apparemment anodins et ordinaires, propices à l’installation
progressive d’un climat angoissant. À la fin de la première
séquence, intervient un élément déterminant pour la perception
de son style, de sa capacité à créer une atmosphère fantastique
très forte sans être pour autant spectaculaire. Irena, en
manque d’inspiration, décide de partir, accompagnée de l’homme
qui vient de l’aborder. Au moment de leur départ, le joueur
d’orgue de barbarie apparaît à l’écran, puis une feuille jetée
et déchirée en deux par la dessinatrice, apparaît dans le
champ, poussée par une brise mystérieuse au milieu de feuilles
mortes. Le dessin se reconstitue miraculeusement sous nos
yeux : il évoque les deux images du générique, une panthère
noire traversée par une épée. La répétition de la même figure,
le rugissement de la panthère, au souffle du vent et au son
de l’orgue constituent des éléments familiers qui prennent
pourtant dans cette scène une valeur étrange et inquiétante.
La troisième séquence située
dans l’appartement d'Irena constitue l’ébauche d’une définition
d’un fantastique de l’ordinaire. Il y a d’abord ce regard
glacé que jette Irena à Reed avant d’entrer dans son appartement.
La justification apportée aussitôt par la jeune femme à propos
de ce comportement hésitant pourrait être suffisante ("
Aucun étranger n’est encore entré chez moi... vous pourriez
être mon premier ami d’Amérique "), si elle n’était accompagnée
d’un thème musical angoissant qui revient plusieurs fois par
la suite. Elle révèle l’appréhension consciente de la jeune
femme, le pressentiment de leur mariage, et de la menace qui
va peser sur lui, si elle laisse entrer cet homme chez elle.
Cette scène est un exemple d’un art Tourneurien de la litote,
par sa réalisation en plan américain. Le trouble d’Irena est
souligné par la musique et l’étonnement de Reed (" ce
drôle d’air "), en aucun cas par un gros plan explicatif.
Il est d’ailleurs intéressant de regarder l’équilibrage continu
réalisé par Tourneur entre le dialogue explicatif (le récit
historique encore elliptique de la légende de ses ancêtres)
et sa propre mise en scène entièrement construite dans la
séquence du salon sur le rapport de l’ombre et de la lumière.
Reed représente le personnage rationnel, celui qui plus tard
cherchera à faire la lumière sur cette histoire. Irena est
une femme de la nuit.
Dans un plan général, représentant
les deux personnages dans l’obscurité du salon, on voit Irena
adossée contre le mur, au fond de limage, alors que Reed est
assis au premier plan, de dos, le profil du visage éclairé
par une fenêtre allumée au dehors. En allumant une allumette,
il est le premier à créer la lumière, et à contraindre Irena
d’allumer l’abat-jour opaque qui était judicieusement placé
au milieu du cadre. Quant à la fameuse statue précédemment
évoquée, elle est présente dans l’appartement d’Irena et représente
selon elle " le roi Jean de Serbie qui libéra le peuple
", la panthère représentant symboliquement le mal qui
avait envahi son village natal. L’explication de sa signification,
donnée pour satisfaire les besoins rationnels de Reed, est
beaucoup moins forte que la répétition de son motif visuel
et sa mise en valeur dans l’obscurité de la pièce. L’image
suggérée de cette sculpture d’abord montrée dans une semi-obscurité
a un impact que ne démentira ni son éclaircissement propre
(Irena allume la lumière), ni son éclaircissement discursif
(l'explication d'Irena). La statue gardera son mystère.
Tout en exposant classiquement la situation (la rencontre
des personnages, la séduction anecdotique sur un ton de comédie
classique, l’identification probable du spectateur au personnage
masculin rationnel face à une jeune femme d’autant plus mystérieuse
qu’on apprend des choses sur elle), les cinq premières minutes
de Cat People posent les bases du style Tourneur, réalisateur
fuyant l’effet et le discours au profit d’un imaginaire merveilleux.
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Titre
: La Féline - Vaudou - L'Homme léopard Titre VO
: Cat people - I walked with a zombie - The
Leopard man Type
: Coffret Edition Collector Avec
: Nastassja Kinski, Malcolm McDowell, Tom Conway,
Frances Dee, Dennis O'Keefe, Margo Réalisateur
: Paul Schrader, Jacques Tourneur Éditeur
: Éditions Montparnasse Langues et formats
sonores : Anglais
(Dolby Digital 5.1), Anglais (Dolby Digital
2.0 Mono) Format image
: Full Screen (Standard) - 1.33:1 Qualité
: Stéréo, noir et blanc Sous-titres
: Français Durée
: 200 minutes Zone
: Zone 2
Bonus : L'entretien
avec Jacques Tourneur (5 min), "Val Lewton,
un producteur-artiste", par Patrick Brion
(16 min), "Tournures de Tourneur, à
propos de L'homme léopard", par
Patrice Rollet (22 min), "Un cinéaste
moderne", par Jean-Claude Biette (13 min),
L'entretien avec Marina de Van, Le livret de
16 pages