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L’attente

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Mais, déjà, le spectateur a basculé dans l’attente, condition sine qua non du suspense. Ce qui fait que de la position de maître, il passe à celle d’esclave. Il attend. Il ne peut pas faire autrement : il subit le film. Et qui mieux que l’ellipse pourrait l’y contraindre ? En effet, car elle repose sur un sentiment de frustration : le spectateur regarde là où on lui dit de regarder. Ainsi, on ne saura jamais ce qu’il y a d’écrit sur le fameux mot de la concierge. De même, ce qu’a réellement fait Tracy dans l’appartement du peintre reste un mystère, on y reviendra.

L’attente engendre des sentiments contradictoires chez le spectateur. Si l’on reprend l’exemple du peintre, le mystère qui plane autour du personnage et la longue séquence dans son appartement incitent à la méfiance. Mais en même temps, le personnage d’Alice étant sympathique, il n’arrivera sans doute pas le pire à la jeune fille. De même, ayant tué en légitime défense, il semble peu probable qu’elle soit jetée en prison. D’autant que Frank paraît être de son côté. Toujours est-il qu’on attend le dénouement, car on ne sait pas ce qu’il adviendra de Tracy.

Inversement, l’attente peut vite devenir synonyme d’agacement, voir de supplice. Il s’agit par exemple du temps, plus de deux minutes, que prend Tracy avec son cigare. La scène de son petit-déjeuner est également représentative. En soi, et parce qu'elle est renforcée par le fondu enchaîné entre le chef de la police et lui. Leur geste est en plus identique, mais la signification complètement différente. Le policier se frotte les mains car il va coincer Tracy, tandis que celui-ci se régale déjà de ce qu'il va manger. Et nous, on trépigne d'impatience... Que dire alors de l’attente collective, due aux deux personnages qui circulent dans la boutique ? Elle est très forte, car le spectateur, Alice, Frank et Tracy sont au même niveau. C’est-à-dire qu’ils attendent tous la même chose au même moment : que ces personnes sortent. Ils pourront dès lors parler entre eux. Mais le plus crispant, c’est peut-être lorsque la femme de ménage prend son temps pour sortir ses lunettes et confirmer qu’elle a bien écrit le mot. Hitchcock semble juste vouloir jouer avec les nerfs du spectateur, déjà au courant.

L’émotion

Le troisième sentiment découle en fait tout naturellement des deux premiers : il s’agit de l’émotion. Elle est créée par le suspense, certes, mais aussi par la surprise. Ils sont en fait paradoxalement liés. Et Hitchcock s’en sert très judicieusement. Raison pour laquelle, ayant défini le suspense de « Chantage », il est légitime de parler de la surprise. L’épisode cité plus haut, concernant l’ellipse du moment où Tracy est dans l’appartement du peintre, en est le parfait exemple. En effet, on a bien vu Alice reposer le couteau sur la table, après le meurtre. Or, elle a pensé à effacer son nom du tableau, et à récupérer son parapluie et son sac. Ayant posé ses gants avec en arrivant, on supposait qu’elle les avait aussi emportés. Résultat, on était resté concentré sur l’arme du crime. Et là... surprise. Non seulement la police ne trouve pas le fameux couteau, mais Frank ramasse un des gants d’Alice. Qu’à cela ne tienne, on se disait alors qu’elle avait du le laissé tomber. Mais quand peu de temps après, un homme arrive à la boutique de Mr White et sort de sa poche le second gant de la jeune fille, c’est à n’y rien comprendre. Sauf bien sur que Tracy a fait disparaître le couteau...