Micro-suspense
De plus, Hitchcock a aussi
mis en évidence dans Chantage des micro-suspenses.
Ainsi, les séquences où Alice sort de chez le peintre, et
où elle rentre chez elle sont très courtes. Cependant, le
suspense est là, jouant sur la peur qu’elle se fasse voir.
De même dans la scène du salon de thé, quand le peintre arrive
alors que Frank est présent. Il y a en fait un mini «deadline»
car on comprend qu’Alice ne peut parler au peintre en présence
de Frank. Et ne serait-ce que par curiosité, on attend qu’il
soit hors de portée pour qu’Alice agisse. Le micro-suspense
est également rendu par le mystère qui se crée autour de l’artiste.
Avec d’abord l’homme qui veut lui parler avant qu’il n’entre
chez lui. Et ensuite le mot que la femme de ménage lui a laissé.
Grâce à tout cela, Hitchcock
réussit à créer trois sentiments.
Le savoir du spectateur
Premièrement, le savoir
du spectateur le place en situation de maître. Il en sait
plus que les personnages, mais moins que l’auteur. C’est de
cet équilibre habile que naît le suspense. Ainsi, au tout
début du film, l’homme qui se fait arrêter, donc le premier
concerné par l’action, est le dernier au courant. De même,
lorsque la femme de ménage décrit Tracy, le spectateur sait
avant les principaux intéressés qu’il est considéré comme
coupable et recherché par la police en tant que tel. Il faut
attendre le coup de téléphone pour que l’équilibre entre personnages
et spectateurs se rétablisse.
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Cela dit, le savoir peut
aussi être plus symbolique, en ce sens où il est moins direct,
moins explicite. Il repose alors plus que jamais sur une complicité
avec le spectateur. Cela se traduit avec les trois habits
qu’Alice portera : une robe noire, des dessous blancs et une
robe de couleur claire. En fait, la couleur de ses vêtements
est à l’image de ses actes à différents moments du film. Le
sombre est l’emblème du mal, et quand elle le porte, elle
s’apprête à commettre un meurtre. Au moment où elle assassine
le peintre, elle est cependant vêtue de blanc. Sans doute
parce qu’elle est en légitime défense. Et une fois rentrée
chez elle, dans sa chambre, Alice se changera pour la troisième
fois. Elle sera désormais vêtue de clair. Le réalisateur filme
presque entièrement la scène, comme pour insister sur le double
changement, vestimentaire et psychologique, du personnage.
Car cette couleur claire est l’emblème du bien. Et ainsi habillée,
Alice veut réparer son erreur et aller se dénoncer. En témoigne
d’ailleurs son rôle d’arbitre, symbolisé dans plusieurs plans
par sa place centrale, entre Frank et Tracy. Ses vaines tentatives
pour raisonner le policier en seront tout autant le reflet.
Il faut également citer,
en tant que symbole, le train. Second moyen de transport,
après la voiture, le train représente le passage de la routine
au cas particulier et personnel. A l’image des passages aussi,
les portes, très nombreuses, et les escaliers. Ces-derniers
sont d’autre part en trio avec la corde et l’échelle qu’utilisera
Tracy à la fin. Également au nombre de trois, les clés. La
plus représentative est la dernière. En effet, elle intervient
au moment où Frank demande à Alice de verrouiller la porte
de la cuisine. Un plan rapproché sur la main d'Alice tournant
la clé dans la serrure souligne son importance. Cette clé
correspond en fait à la solution du problème de Frank. Il
peut inculper Tracy en toute légalité. Il apprend du reste
cela dans la boutique de Mr White. Et dans cette pièce se
trouve un autre symbole : la balance. Elle est posée sur le
comptoir, et représente la justice. Ses deux plateaux pèsent
le bien et le mal, l’amour et le devoir. Finalement, le fait
qu’elle se trouve dans la boutique laissait tout simplement
présager que l’intrigue se dénouerait dans cette pièce.
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