Traitement du temps
Mais outre cette large ossature
du scénario, Hitchcock parvient à introduire des séquences
qui cristallisent le suspense. Tout d’abord, grâce au temps.
Il est, en effet, un paradoxe dans le temps du suspense que
le réalisateur utilise très bien. C’est un facteur de narration
rapide, mais que l’on peut, par le biais du montage, dilater.
D’ailleurs, à la fin du film, un montage alterné à trois,
entre Alice, Tracy et Frank, temporise la séquence et augmente
l’intensité dramatique. À cela s’opposent les longues séquences,
qui peuvent aussi, paradoxalement, créer l’attente. Ainsi,
Alice restera onze minutes chez le peintre avant le meurtre,
quasi réellement ; Il n’y a effectivement qu’un montage alterné
avec deux passants dans la rue. Cette longueur laisse présager
un danger. C’est ce qui en fait toute l’intensité.
Le cinéaste ne présente
dans Chantage qu’un réel symbole indicateur de temps
: l’horloge Big Ben, qui sonne minuit moins le quart. L’heure
est précisée pour la seule et unique fois dans le film. La
séquence est directement raccordée sur le moment où Alice
se retrouve toute seule dans une rue déserte. Cette solitude
contraste avec le début, quand rues et cafés étaient bondés
de monde. Et elle est accentuée car la jeune fille est face
au monstre du temps, qui déjà semble tourner contre elle.
Ici sont ainsi réunis le temps et l’espace.
Traitement de l’espace
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L’espace, ou l’autre manière
pour Hitchcock de créer du suspense. Il l’utilise, dans toute
sa grandeur, avec le British Museum, à la fin. Tracy se trouve
écrasé par le gigantesque volume des lieux. Il est entouré
d’objets de dimensions énormes, notamment quand il descend
à la corde à coté d’un visage de pharaon beaucoup plus grand
que lui. L'effet est aussi rendu par les plans très larges
que Hitchcock a choisit. De fait, on a constamment l’impression
que Tracy va tomber. Et cette chute, qui finalement le guettait
depuis son arrivée au musée, sera réelle et symbolique. En
effet, il dégringole à travers une verrière. C’est d’ailleurs
la deuxième fois que Tracy casse du verre, après la fenêtre
chez Alice. D’autre part, le fait qu’il tombe, et surtout
qu’il disparaisse de l’écran, est presque logique car de cette
façon, les policiers à ses trousses restent au nombre de trois.
Cela étant, le symbole réside dans le «sacrifice» de Tracy.
Car en mourant, il coupe court au suspense, et sauve Alice
du châtiment. D’ailleurs la jeune fille ne se trouve-t-elle
pas pendant tout ce temps dans sa petite chambre à coté d’une
fenêtre ?
Cette chambre est en outre
à l’image de l’espace confiné, que Hitchcock utilise si bien.
Il trouve son meilleur représentant à travers la cabine téléphonique.
Et ce, à trois moments. D’abord, Alice veut visiblement tout
raconter à Frank, quand elle cherche à y téléphoner. C’est
dans cette même cabine qu’il lui fera ensuite comprendre qu’il
sait ce qui est arrivé. Ironie d’Hitchcock s’il en est, car
le message est passé sans pour autant qu’Alice se soit jamais
servit de l’utilité première de ladite cabine. Elle n’est
finalement là que pour symboliser le resserrement de l’intrigue.
Car très vite, elle légitimera l’arrivée de Tracy dans le
film. En effet, Frank, en y informant Alice, montre un des
gants-pièce à conviction. Possédant l’autre, Tracy peut désormais
intervenir. Enfin, elle signe paradoxalement la chute imminente
du maître-chanteur, parce que Frank apprendra au téléphone
l’avis de recherche lancé contre Tracy.
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