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La mise en scène de cet
espace clos, sa relation avec l’extérieur, est étonnamment
sobre. 3 plans suffisent : un zoom arrière partant du manoir
à la grand-mère qui regarde par la fenêtre, suivi d'un panoramique
vers la gauche qui accompagne le déplacement de la vieille
dame puis dézoome une nouvelle fois découvrant le grand lit
où semble perdue la fillette. Suit un champ/contre champ qui
serait classique si la caméra, au lieu d’être à la place de
la petite fille, ne se trouvait à la place du mur de la chambre,
imprégnant la réalité d'un imaginaire. C’est ce même plan
qui clôt la séquence, en s’échappant de la chambre par un
travelling avant aérien qui survole la petite ville enneigée
avant d’atteindre la colline où trône le fameux manoir. La
triple unité " réaliste " (temps, lieu, action)
du prologue est faussée par ce que l’on appellera " cette
nécessaire ouverture vers l’extérieur " : vers le manoir
(sa présence ouvre et ferme le prologue) habité par Edward,
vers l’imaginaire du récit raconté par la vieille dame, vers
enfin une autre temporalité, évidemment passée. On soulignera
le classicisme du procédé du zoom-travelling comme passage
de l’extérieur à l’intérieur et vice-versa, figurant l’amorce
d’une pensée, d'un souvenir, et donc, d'un flash-back.
Le récit raconté dépasse
le domaine précis du conte pour enfants, pour rejoindre l’univers
intime de la transmission orale d'un secret, entre une grand-mère
et sa petite fille : une histoire qui n’appartiendrait qu'à
elles deux, soudain révélée un soir d’hiver, en réponse à
une question impossible, une question prétexte (pourquoi,
la neige ?). L’histoire racontée nous apparaît comme vraie,
comme crédible : c’est évidemment la première condition pour
être acceptée par l’enfant, comme par le spectateur. Pour
croire à une histoire aussi merveilleuse, on fait " comme
si ". L’histoire prend cependant une autre dimension
à la fin du film quand on apprend que la grand-mère est en
réalité la jeune femme blonde qui était tombée amoureuse d’Edward.
Cette révélation accentue l’effet de réalité (la love story
entre la belle Kim et la bête Edward accrédite cette vérité)
tout en apportant une touche mélancolique et émouvante à cette
histoire délibérément centrée sur les thèmes de la différence
et de la tolérance (l’histoire d’amour rendue impossible par
la différence d’Edward). À la fin du film, le spectateur comme
la fillette se sont accaparés le secret de cette femme devenue
grand-mère. L’histoire d’amour a discrètement remplacé la
réponse, pourtant donnée, à la question de la petite fille
: le malheur de cet homme au cœur brisé aurait provoqué la
tombée de la neige.
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La transmission de ce souvenir
encore vivace se fait par la parole, une parole devenue progressivement
image. On pourrait hardiment avancer l’idée que ce prologue
appartient plus au domaine de la parole que de limage (celle-ci
illustrant plus la parole de la grand-mère que la dépassant).
Dans cette séquence, la parole lance limage : c’est le conseil
de la grand-mère (couvre-toi, il fait froid dehors !) qui
entraîne le panoramique vers le lit de la fillette. C’est
la question de celle-ci qui provoque le récit de la grand-mère,
l’histoire à l’origine du film même. Limage ne se libère de
la parole qu'au moment où la caméra s’échappe presque définitivement
(elle y revient à la fin du film) de la petite chambre. La
parole de la vieille dame (décrivant Edward) mène au manoir
par un travelling aérien surplombant la ville. La fin de la
phrase de la grand-mère (en off) mixée à la musique d’Elfman
sur les images de ce long travelling, s’achève par un contre-champ
(écho du premier plan du film) décrivant la ville endormie
que regarde une silhouette en amorce d’une fenêtre. La voix
off est désormais tue. L’image prend sa place. Le film (en
tant qu'image, sans voix off comme béquille) peut véritablement
commencer.
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