Mais le résultat des investigations de Beechum
est largement valorisé par une grande leçon d’humanité. Tout
le déroulement du film est humain, oscillant entre une réelle
capacité d’écoute de la souffrance humaine, et une compassion
qui, traitée de façon plus ponctuelle, avec notamment l’apparition
d’un clochard déguisé en Père Noël, conduit petit à petit
à ce résultat. Le mélodrame se termine bien ici, tout le monde
est racheté : tandis que Luther, qui se présente comme
un héros tragique, est sauvé, Beechum perd enfin son image
de looser. Ces deux événements sont alors simultanés,
et marquent le point de convergence final du récit, annoncé
par son contraire - Luther est coupable, Beechum ne s’occupe
pas de l’affaire - au début du film.
Le conflit mélodramatique
se met ainsi en place, d’une part avec une opposition cadre
/ hors-cadre. Elle est créée par le décalage que Eastwood
a su réaliser entre la déshumanisation et la déresponsabilisation
qui émanent de l’attitude des « fonctionnaires »
alors en poste (rédacteur en chef, gardien de prison, prêtre,
médecin) : ils sont là pour faire leur travail, ils sont
donc dans le cadre. Tandis que le clochard évoqué plus haut
par exemple est dans la marginalité, le hors-cadre. Si d’un
côté donc tout est mécanisé, bien huilé, de l’autre, apparaissent
des personnages presque sortis de nulle part, et pourtant
si humains. Eastwood se pose face à cela de deux manières :
en tant qu’acteur, puisque son personnage résiste à cette
forme d’indifférence et de fatalisme, et en tant que réalisateur,
puisqu’il oppose les deux.
D’autre part, le conflit
prend forme grâce au traitement d’une valeur fondamentale :
la famille.
Il existe dans Jugé Coupable
deux couples qui sont traités en parallèle, qui se correspondent,
qui se complètent. D’un côté, on trouve le couple Frank Beechum
/ Luther. Mais s’ils sont tous deux mariés et ont une petite
fille, les relations qu’ils entretiennent avec ces femmes
sont bien différentes. Frank aime les femmes, Luther aime
sa femme. Mais il flotte dans l’atmosphère de ce film comme
une quête de la femme perdue.
Luther veut préserver cette
femme qu’il sait, précisément, bientôt perdue, tandis que
Beechum cherche sans doute parmi toutes ses conquêtes une
image de la femme idéale. Image qu’a d’ailleurs peut-être
un jour représentée, à ses yeux, sa propre femme. Beechum
trompe sa femme donc, et dégrade un peu plus ses relations
avec sa fille (et par conséquent avec sa femme), au cours
notamment de la visite éclair au zoo. Et autant Beechum vie
cette aventure, et finalement sa vie, de façon accélérée et
répétitive (les femmes, les cigarettes…), autant la situation
de Luther est traitée de manière unique. Il prend tout son
temps avec sa femme et sa fille (notamment la scène du dessin).
Il cherche à profiter de chaque minute qui lui reste, et à
les prolonger, alors que Beechum est le brûleur de tous les
instants.
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