Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Le Festin nu (c) D.R. DAVID CRONENBERG
L’usage du corps…
Par Matt DRAY


Que nous apporte encore David Cronenberg ? Avec eXistenZ, il poursuit sa pétillante exploration de la chair humaine. Une œuvre que l’on essaye d’associer à Videodrome, où le réalisme est, encore et toujours, remis en cause. Pourtant, elle semble plus approfondir les thèmes de ses trois derniers films. Retour en arrière avant (ou après) de plonger dans la réalité virtuelle de eXistenZ.



  Crash (c) D.R.

Le corps est un objet. Le corps est une machine. Le corps est sujet à se transformer. Beaucoup de cinéastes ont une vision mécanisée du corps. Chez David Cronenberg, le corps se transforme comme on manipule un objet. On le rend difforme. On le déchire. Et au-delà, on tente de lui imposer une autre signification. Dans plusieurs de ses films a lieu une opération chirurgicale qui donne naissance à une nouvelle vie. Un pouvoir caché se révèle au grand jour. Ainsi, par exemple, dans Dead zone (83), où après son accident de voiture, et de nombreuses opérations, Christopher Walken se découvre un fort pouvoir de voyance qui le conduira à sa perte. Dans Dead Ringers (88), c’est l’unité de l’individu, du corps, qui va être (re)mise en question. Les jumeaux ont évolué dans un système de vie qui s’est construit à deux. Ils ont évité la prise de conscience de l’état de la solitude qu’on ressent dans l’enfance. Ils entretiennent le mythe fusionnel. C’est lorsqu’un des frères va prendre conscience de son unité que le récit va sombrer dans la douleur. Il va perdre toute sa dimension mythologique. Pour retrouver l’amour, car en philosophie, l’amour, c’est à "deux", le film se termine par une opération chirurgicale monstrueuse, où les jumeaux tentent de se lier physiquement par la chair. En souhaitant modifier leur être physique, ils meurent. Dans La mouche (86), c’est avec l’envie de révéler au monde le fruit de sa découverte que le héros, transformé en mouche, mourra. Le corps fonctionne à double sens, comme les objets qui l’entourent. Tantôt bénéfique, tantôt affreusement diabolique. Cronenberg est un conteur fasciné par la trouble beauté des monstres. Il est aussi sans doute le seul cinéaste cérébral capable, à parit du corps d’articuler son récit.

 

Le Festin nu (c) D.R.

Par son rapport avec la réalité, avec les drogues, comme dans Le Festin nu (91), le désir, l’accomplissement du désir, les rêves, l’extra-réalité : ce que l’oeil humain ne perçoit plus. Filmer l’in-montrable, l’indicible, la mutation de l’organisme. Le Festin nu est un film qui profèrent maintes expériences humaines, étranges, fantasques, hallucinatoires. Un film qui pénètre à l’intérieur même de la vulnérabilité humaine. Cronenberg inscrit les corps dans l’espace et les laisse évoluer par rapport à leur intérieur, leur propre condition. Au début du film, Billy Lee est un exterminateur de cafards. Il tue les cafards. Joan, sa femme, qu’il va tuer malencontreusement au cours d’une banale partie, une "William Tell", se défonce à l’insecticide. "...Défonce Kafkaïenne." où "On a l’impression d’être un cafard" (La Métamorphose de Kafka). C’est un insecte qui donne l’ordre à Lee de tuer sa femme. Sa mort va plonger Lee dans la création littéraire. Sa machine à écrire-cafard l’envoie en Interzone déculpabiliser ses organes psychologiques et sexuelles, à partir de son intérieur (Interzone). Il trouvera là-bas les doubles de ceux (protagonistes) qui l’entourent à New-York. Ces insectes pourraient être des humains transformés, métamorphosés, rompus à l’exil acerbe des monstres, après qu’une réalité se soit conclue par la mort des corps. Comme si les insectes étaient des corps humains retournés. Une idée que l’on trouve déjà dans La Mouche (86), avec la première expérience de téléportation effectuée sur le chimpanzé. D’ailleurs, fait qui peut paraître étrange, les insectes conversent avec Billy Lee/Burroughs. Sa propre machine à écrire se métamorphose en cafard et l’engage comme agent secret. Il doit enquêter sur la drogue en Interzone, univers parallèle, univers du créateur littéraire, autre monde, qui ressemble à la ville de Tanger. D’après un livre sulfureux de William Burroughs, le film approche les délirants univers du poète de la Beat-generation avec une habilité féerique. Les corps sont déchirés entre trois choses : la drogue, le sexe (et l’ambivalence sexuelle), et la mort (la mort de la femme de Lee, Joan, en l’occurrence).