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Existenz (c) D.R.

D’ailleurs, un autre personnage, joué par la même actrice, apparaît plus tard dans Interzone. Ce qui prouve que le corps ne disparaît pas juste parce que la mort l’a désintégré. Le souvenir du corps de sa femme reste planté dans son cerveau. Lee s’invente Joan en Interzone. C’est la figure du double qui est exprimée dans le personnage de Joan. Cette même idée du double qu’on trouve dans Lost Highway de David Lynch, et dans Vertigo, d’Alfred Hitchcock, notamment. En Interzone, tout semble possible. Témoin, au début du film, cet écriteau en lettres blanches : "Rien n’est vrai, tout est permis". Interzone est une espèce de non-lieu, un univers chaotique, où la paranoïa se plaît à semer des germes destructeurs, et où la réalité n’a de forme que par la vision des habitants. A cet effet, il est indispensable de souligner que Burroughs croyait en la magie, et aux formes paranoïaques du corps. Interzone ressemble, pour ma part, à un laboratoire. Un laboratoire où on ausculte les corps, où on les rend difformes, où on peut les manipuler à l’infini. En Interzone, des personnages se rencontrent. Chacun d’eux développe au fond de leur être un fantasme particulier. L’inconscience se mêle indiscutablement à leur conscience, et leur activité sexuelle devient un événement de l’esprit (pour exemple, la liaison tragique par la chair de Cloquet et de Kiki). Le corps est pris alors entre le réel et l’étrange, l’hallucination et la vérité. L’âme se détache de la chair. L’âme reçoit les mots (les mots s’inscrivent sur la machine, puis entrent dans la tête de Lee pour en sortir par la chair), et la chair matérialise les images. Ainsi, tout s’articule autour de Lee. Son corps s’invente les personnages proches de son intérieur et il est, peu à peu, contaminé par son propre environnement, projection de lui -même.

D’après Nietzsche, qui prône la volonté de puissance (thème abordé dans Crash), "La vie est une maladie". Bien sûr, mais cela dépend de quelle maladie il s’agit. Il faut savoir de quelle façon la vie est contaminée. Est-ce que le corps se sent happé par une "autre réalité" (réalité suicidaire), une réalité dans laquelle il souhaite évoluer ? Pour William Burroughs, l’auteur favori de Cronenberg, la réalité n’existe pas. C’est juste ce que nos yeux perçoivent. Certains peuvent observer une réalité sans artifice, et psychologiquement fluide, d’autres, au contraire, verront une réalité étrange, dénuée de sens, une réalité où les monstres et les êtres humains se mêlent sans aucune appréhension. Une réalité où de nombreuses expériences un peu bizarres transforment les corps (en les sacrifiant même). Cet aphorisme de Burroughs inscrit au début du film justifie ce propos : "Arnaqueurs du monde, il y a une Marque que vous n’égalerez jamais : la Marque intérieure." Ainsi, c’est l’intérieur qui choisit la substance que le corps doit revêtir. L’intérieur qui s’invente les images et les mots. Tout vient de l’intérieur : de la chair. Tout exulte du corps, de ce que les personnages s’infligent comme hallucinations. Des hallucinations qui les trompent et qui créent une certaine réalité.

  M. Butterfly (c) D.R.
Avant de réaliser M.Butterfly (93), Cronenberg suggéra dans le scénario de privilégier les relations intimes des deux protagonistes plutôt que la dimension politique de leur aventure. Faire un film où le corps, influencé par un romantisme puissant, puisant sa source dans l’amour absolu, ne se dérobe pas face aux illusions mais au contraire, s’y livre pleinement. Les fins politiques ne sont qu’un infime détail, et d’ailleurs Gallimard, joué par Jeremy Irons, fermera les yeux sur celles-ci, absorbé tout à fait par ce qui est venu se cacher en lui, qui l’a transformé. Ce film nous révèle qu’un homme ne peut jamais connaître réellement ses semblables. Gallimard, comptable à l’ambassade de France de Beijing, fasciné par le romantisme et le mystère de la Chine traditionnelle, crée une femme à partir de ses propres besoins et de sa propre imagination : son fantasme. Il tombe amoureux d’une vision. Son corps prend alors un tout autre état. "Il" se révèle. Et peu importe que M.Butterfly soit un homme ou une femme. D’ailleurs, le visage de celui ou celle-ci est double. Souvent, et cela est rendu de manière admirable, on devine sur le visage de Butterfly les traits féminins d’un homme. Gallimard est attiré par Butterfly, non parce qu’il désire Butterfly dans la réalité brute, mais parce que son corps (et l’intérieur de ce corps) prend une autre fonction que la singularité et sent au fond de lui les fantasmes qui lui conviendrait pleinement. Ce qui rend la relation extrêmement excitante.