A l’image, on ne se lasse
pas de ces itérations. Rébarbatives sinon comiques à l’écrit,
comme lorsque l’acteur Christian Rist lit un extrait du roman
Molloy de Beckett (Minuit, 1951) avant la projection
du film de l’auteur, les répétitions apparaissent au contraire,
au cinéma, comme une condition de la mémorisation. Mais peut-être
n’en est-il ainsi que pour des générations qui, comme le suggérait
Godard il y a vingt ans dans Scénario pour Passion (1982),
ont « désappris à voir » à force de se référer
d’abord au seul texte écrit.
Au terme de ce voyage, c’est
peut-être Chris. Marker, autre adepte de la récurrence visuelle,
qui aura le dernier mot. On se souvient qu’au début du Fond
de l’air est rouge (1) (1977), en montant les images
de la charge armée tsariste dans Le Cuirassé Potemkine
(1925) avec celles d’autres répressions militaires s’abattant
sur des luttes révolutionnaires plus tardives, il nous avait
révélé qu’Eisenstein avait su penser en cinéma. L’image d’un
genou qui fléchissait, d’un corps qui d’effondrait sur les
escaliers d’Odessa pensait, parce que cette image fictive
allait se répéter au cours des événements tragiques du siècle.
Marker, en revanche, restait
peu disert sur les ressorts de ce nouveau langage. Dans son
commentaire de L’Héritage de la chouette (1989), série
de treize moyens-métrages débusquant les traces de l’influence
de la Grèce antique dans le monde contemporain, il concluait :
« Ces épisodes s’étaient construits à leur façon,
ils avaient suivi une grammaire cachée ». Comme les
premiers scribes, les photographes (« écrivains de lumière »),
les cinéastes (« écrivains du mouvement ») qui s’approchaient
de ce savoir seraient eux aussi, pour un temps, tenus au secret.
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1) Programmation « Images
de la pensée », par Philippe-Alain Michaud,
assisté d’Antonie Bergmeier Auditorium du Louvre
(Paris), du 11 au 31 octobre 2001
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