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SOMBRE
de Philippe Grandrieux
Par Jean-Sébastien CHAUVIN


SYNOPSIS : Jean tue. Il rencontre Claire, elle est vierge. Claire aime Jean. Elle reconnaît à travers les gestes de Jean, sa maladresse, sa brutalité, elle reconnaît ce qui obscurément la retient elle aussi hors du monde. Frappée jusqu'alors du désespoir, du désespoir d'une vie non vécue, cette rencontre la redonne à la lumière. C'est un conte. L'amour est ce qui nous sauve, fut-il perdu, d'emblée, perdu.

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L’EXPERIMENTATION FRILEUSE

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Dans le microcosme de la critique française, Sombre a fait grand bruit. Adoré par les uns, haït par d’autres. Formellement par les uns, moralement par les autres. Choquant mais bien fait. Novateur quoique irrémédiablement immoral. Et si, pour une fois, nous inversions la proposition : sans morale et expérimentalement frauduleux ? Prenons les choses en ordre.

De bout en bout, Sombre est miné par son refus de convoquer les images traumatiques de l’horreur. Chez Lynch par exemple, l’œil est toujours soumis à l’expérience d’un corps meurtri (un fœtus hurlant, une oreille coupée, une femme ensanglantée, une pointe de verre enchâssée dans une tête), déployant l’horreur dans sa dimension matérielle, sensible. Dans Sombre, la froideur est de mise, embarqué dans une réfrigération toute intellectuelle. De corps, de chair, de sang, point. De désir non plus, comme si Grandrieux avait peur de montrer ce qui émeut et fait frémir. La façon qu’à son héros de tuer ses victimes, par exemple, est symptomatique de cette attitude : une sorte d’étouffement maniéré, pensé, trop artificiel pour être vraiment émouvant. Trop propre surtout, comme si Grandrieux évitait la confrontation à ce qu’il peut y avoir d’incarnation dans la représentation d’un meurtre sur un écran de cinéma. Il ressort de tout cela une sorte d’imagerie hygiéniste somme toute assez creuse.

Objectif Cinéma (c) D.R.

Pas de morale dit-il. Certes, on ne l’y oblige pas. Dans Henry, portrait of a serial killer, point de morale. Pourtant, John Mac Naughton n’évite pas son sujet, il le cueille, de manière frontale, au cœur de la folie froide de son héros. La confrontation des affects moraux du spectateur avec ce personnage dont les actes sont au-delà de la simple morale judiciaire est ce qui procure ce sentiment d’effroi. Le mal serait donc quelque chose d’impénétrable, qui, fondamentalement, se dérobe à tout jugement. Il faudrait aussi revoir L’argent de Bresson, pour comprendre que la figure de l’ellipse, loin de jouer la carte de l’évitement, renforce l’effroi. Parce que le mouvement de l’ellipse, dans ce cas, c’est de ne pouvoir donner accès à la compréhension d’une horreur repoussée dans les limbes. On ne voit pas, on ne sait pas, on ne comprend pas.