Shadow
of the Vampire alterne séquences en coulisses (où
l’on glane des informations précieuses sur le financement
alambiqué du film, sur les délires et les caprices des stars
qui y jouaient, etc.), et reconstitutions minutieuses de séquences
du Nosferatu original. Ces recréations composent une
sorte de making-of luxueux et imaginaire du film de Murnau
et, outre l’hommage indéniablement poétique qu’elles constituent,
elles s’enrichissent de détails qui permettent de s’immerger
dans la création cinématographique à une époque où toute la
grammaire et le vocabulaire du cinéma restaient encore à inventer
(et Dieu sait que Murnau a écrit quelques-uns des chapitres
de cette inestimable encyclopédie !) La séquence
de la découverte du médaillon de Jonathan Harker est un modèle
en la matière, puisque son action se déroule à la fois à l’intérieur
même de la scène et sur le plateau du tournage, créant de
ce fait une double tension qui se répercute et s’amplifie.
Nous pourrions également citer d’autres reconstitutions tout
aussi intéressantes, comme le plan terrifiant où Orlock sort
de son cercueil à la verticale, la scène de la coupure au
doigt d’Harker, ou encore cette séquence impressionnante où
Murnau dirige ses comédiens en direct avec son haut-parleur
comme s’il jouait lui-même la scène et improvisait sous nos
yeux.
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A cette alternance scènes
en coulisse / scènes de plateau répond également une alternance
entre la couleur et le noir et blanc qu’Elias Merhige a expliqué
ainsi, en filant une métaphore qui ne manque pas de charme :
« J’ai pensé que la stylisation propre aux films
muets se trouverait renforcée si nous passions régulièrement
de la couleur au noir et blanc pendant le film. Voir les couleurs
fondre, couler de l’écran pendant les scènes de tournage de
« Nosferatu », correspond parfaitement à l’idée
de vampirisation qui irrigue « L’Ombre du Vampire ».
C’est comme si le sang (ou la vie) de l’image se trouvait
aspiré. Ne reste alors plus que le squelette, le fantôme en
noir et blanc d’une image primitive. »
Afin de revisiter à sa manière
ce classique de l’histoire du cinéma, Merhige s’est approprié
les techniques qui avaient cours au début des années 20, soucieux
d’atteindre l’esthétique créée alors par Murnau, en réutilisant
les fermetures à l’iris, un noir et blanc extrêmement contrasté,
un travail perfectionniste sur la lumière et sur les jeux
d’ombre (notamment pour le plan où Orlock surgit pour la première
fois des ténèbres de son château avant de retourner s’y terrer),
et enfin grâce à une direction d’acteurs remarquable. Après
« Dans la peau de John Malkovich », réalisé en 1999
par Spike Jonze, Malkovich prouve une fois encore qu’il sait
mener sa carrière en parfait stratège, en interprétant avec
sobriété un Murnau rongé de l’intérieur par ses obsessions
et focalisé sur un seul et unique objectif : donner vie
aux images qui l’habitent et aux visions qui le hantent. L’alchimie
qu’il forme avec Willem Dafoe fonctionne idéalement :
Jésus chez Martin Scorsese, Bobby Peru au rictus d’anthologie
chez David Lynch, Willem Dafoe se délecte de ces transformations
extrêmes et de ces compositions bigger than life, et
l’assurance avec laquelle il endosse à son tour le costume
élimé du Comte Orlock donne la mesure de son talent, puisqu’il
lui fallait oser s’aventurer sans crainte du ridicule sur
les traces intimidantes non seulement de Max Schreck mais
aussi de Klaus Kinski, autre monstre sacré dont l’interprétation
animale et tremblante de Nosferatu est également restée dans
les mémoires.
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