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Nul n’a jamais très bien
connu les détails de l’existence de Max Schreck, dont la personnalité
a toujours été entourée d’un impénétrable halo de mystère,
et plusieurs facteurs ne pouvaient qu’accréditer les thèses
les plus saugrenues que nous évoquions plus haut. Les colporteurs
de nouvelles à sensation n’hésitaient pas ainsi à affirmer
que Schreck n’avait jamais joué ailleurs que dans Nosferatu.
Nous savons aujourd’hui qu’il était un comédien accompli,
affectionnant surtout les planches, comme la majorité des
acteurs de son époque, mais qu’il était apparu dans de nombreux
autres films : il a notamment tenu un rôle dans « Les
finances du grand duc » en 1924, de nouveau sous la direction
de Murnau. Cependant, la plupart des autres longs-métrages
où il est apparu ont disparu corps et bien, le temps a eu
raison de leur fragile pellicule, et cette perte n’a pu qu’appuyer
et alimenter toutes les légendes : tel un vampire dont
le profil ne se dessine dans nul miroir, la silhouette de
Max Schreck semble ne s’être imprimée que sur peu de photogrammes...
Le Max Schreck qui apparaît
dans L’Ombre du Vampire reflète et synthétise ces fantasmes
et ces rumeurs, et c’est donc à un véritable retour aux sources
à la fois du mythe et de l’histoire du cinéma que nous invite
Elias Merhige. Shadow of the Vampire joue sur plusieurs
tableaux et fonctionne sur plusieurs niveaux de lecture :
le cinéphile le plus pointu comme le spectateur le plus profane
pourront y butiner à leur guise. Lorsqu’on ignore tout des
conditions de tournage de Nosferatu et de la personnalité
des techniciens ou des comédiens qui y participaient, on se
laisse d’abord embarquer dans ce qui semble être un documentaire
romancé de la mise en chantier d’un film à l’aube du cinéma.
Découvrir ainsi Murnau revêtu, comme l’ensemble de son équipe
technique, d’une blouse blanche de scientifique, le regard
dissimulé derrière ses lunettes de protection, nous plonge
ainsi parfois dans un univers aussi fantastique que les apparitions
du Comte Orlock engoncé dans son costume noir étriqué, tant
l’image, basée sur des documents photographiques de l’époque,
est saisissante et étonnante : Murnau ressemble alors
davantage à un physicien obnubilé par ses recherches expérimentales
qu’à un cinéaste façonnant une œuvre d’art qui l’immortalisera,
et cette approche est sans doute judicieuse et fidèle à la
réalité.
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De l’autre côté de l’œilleton
de la caméra, nous voyons évoluer Max Schreck, d’abord amusés
par les manies du personnage, puis de plus en plus déconcertés
par ses accès de démence, et enfin interdits par ce qui se
déroule à l’écran : révéler ici les causes de ce profond
ébahissement serait lever le voile sur une construction très
habile du scénario, nous ne nous y risquerons donc pas. Avouons
toutefois qu’il est très jouissif d’imaginer dans un premier
temps que le personnage de Max Schreck a été construit par
le scénariste à partir de données biographiques extrêmement
précises : les doutes et les interrogations qui nous
assaillent au fil des minutes ne prennent alors que davantage
de saveur.
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