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BERLIN 10/90
de Robert Kramer
Par Nicolas CHEMIN

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L'ESTHETIQUE DU CONFLIT INTERIEUR

"J'introduis des éléments autobiographiques dans mes films non pas pour que les personnages soient reconnus, mais pour que les spectateurs puissent être touchés par des sentiments qu'ils ont pu éprouver à l'égard de la vie. Par ailleurs, les éléments autobiographiques font en quelque sorte partie de ma thérapie : avec Sweet Degeneration, je reviens sur une période difficile avec mon père où je lui volais de l'argent pour aller avec des prostituées. En faisant ces films, je me confronte à mon passé, non pas pour le nier, mais pour l'assumer".

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Lin Cheng-Sheng, à propos de Sweet Degeneration, incite à une lecture « psychologisante » de son film, comme une catharsis verbale et picturale où resurgissent pour s'assainir les vieux traumatismes. C'est à travers ce prisme, décupleur sémantique, qu'il faut scruter Berlin 10/90.

Il y a dix ans, Robert Kramer est sollicité par des producteurs télévisuels pour participer à une émission sérielle. Le cadre est le suivant : le cinéaste se voit proposer de tourner, à l'aide d'un caméscope, un plan-séquence d'environ une heure. Pas de contrainte de lieu ni d'espace, pas d'autre cahier des charges que de filmer en continu. Troublant et puissant, l'objet hybride, inclassable qui en a résulté constitue peut-être la plus curieuse et le plus rare des oeuvres présentées au nouveau cycle "Bravo l'artiste !" des Documentaires sur grand écran (au Cinéma des Cinéastes, du 8 octobre au 31 décembre). Poignante, la confession autobiographique de l'auteur, certes confuse, déjoue radicalement tous codes cinématographiques préétablis. Allègricide au plus haut point, elle fait subir à son auditoire une nauséeuse maïeutique

Un dispositif ingénieux détourne les règles du jeu, tout en les respectant : par l'introduction d'un poste de télévision, Kramer double l'image et ouvre une seconde tribune d'expression. Mais au-delà d'une réflexivité spatiale, c'est dans la temporalité que l'astuce prend tout son sens : le temps réel s'agrémente de temps différés, le continu devient fragmenté, le plan-séquence se meut en montage. Ce procédé de réduplication n'est pas tant une réflexion théorique sur le cinéma qu'une voie vers l'intimité de l'auteur. Par là Berlin 10/90 dépasse le simple exercice de style, et se révèle une véritable épreuve, pour le cinéaste comme pour le spectateur. Il s'avère le catalyseur de la mémoire de Kramer. L'auteur y fait une sorte de psychanalyse personnelle, non seulement pour "accoucher" son esprit des traumas refoulés, mais encore pour partir à la recherche de sa propre identité. Bridé par le concept, fondement de la pratique sérielle, Kramer livre un film dont l'ambition esthétique est moindre. Le rudimentaire est contenu en germe dans ce concept.