SYNOPSIS
: Joshua Shapira est un tueur à gages. Il exécute
son boulot sans états d'âme. Jusqu'au jour où
son commanditaire exige un contrat a Brighton Beach, quartier
des juifs russes appelé Little Odessa, où Joshua
a passé son enfance. |
....................................................................
|
OEDIPE FROID
La sortie du DVD aux éditions
Opening, et notre récente rencontre avec Tim Roth à
l’occasion des Rencontres Internationales du Forum des Images
où le film fut projeté, fournit l'occasion de
revenir sur le premier film de James Gray, qui traîne
son élégance générique depuis
quelques années sans susciter de trop vives affections.
Cependant reconnu, Little Odessa semble devoir décupler
le respect qu'il mérite à chaque vision...
|
 |
|
|
Un air d'opéra
ouvre Little Odessa sur le gros plan d'un œil prédateur.
Joshua s'élance, tire, et s'en retourne d'où
il vient, d'un pas rapide. Instant fugace, froidement meurtrier,
qui glace le lyrisme musical et condamne la violence imagée.
Brighton Beach, ghetto juif russe de New-York, saison blanche
et sèche. Les haleines sont vaporeuses, les trottoirs
salis d'une neige boueuse, les gens vêtus de costumes
défraîchis. La grisaille domine d'entrée
ce film noir qui emprunte ses codes à la tragédie.
Le générique met fin au prologue. son titrage
s'inscrit sur le fade chrome d'une rame de métro, présageant
un itinéraire de retour de l'ange déchu. Joshua
retrouve le quartier de son enfance pour l'exécution
d'un " contrat ". Devenu tueur, il a jadis été
banni par son père et contraint à l'exil par
le meurtre du fils d'un tsar de la mafia locale. Le retour
comble l'écart creusé et inverse le mouvement.
Tout dans Little Odessa obéit à cette
oscillation, véritable valse de l'entre-deux. Elle
se danse en couple mais est reprise en chœur. Fusion du film
noir et de la tragédie qui convergent en un dramatique
point de rupture, la mort d'un frère innocent. James
Gray exprime ici une dimension mythique du rapport père-fils,
véritable Œdipe tortueux. Joshua reçoit le ceinturon
en guise de présent de retrouvailles. Il répond
par l'humiliation, meurtre avorté de son géniteur.
La mise en scène aiguille le spectateur vers la lecture
symbolique: elle privilégie le champ ouvert aux lieux
fermés et fuit la coupe pour le continu. Les cadrages
soulignent l'épopée que la grandiloquence musicale
de l'opéra avait engendré dès le plan
initial. Little Odessa ne charcute pas son espace:
peu de gros plans ou de plans moyens, mais un amour pictural
pour le plan d'ensemble. On se souvient longtemps de cette
scène filmée de loin, où le pitoyable
père adultérin et violent gît prostré
aux pieds de sa progéniture à la moralité
pas plus reluisante. Le point de vue aérien, quasiment
déique, minimise ses personnages au beau milieu d'un
champ de neige, souillé par des herbes tenaces. La
blancheur ainsi maculée, le symbole est fort et ne
renvoie pas seulement à la tragédie. Jamais
moralisatrice mais en permanence doublée d'un regard
froidement inquisiteur, la focalisation externe trouve son
paroxysme dans le plan précédemment décrit
et immisce une présence religieuse sinon théologique.
Joshua incinère les corps de ses victimes en une grinçante
métaphore...
|