Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Little Odessa (c) D.R. LITTLE ODESSA
de James Gray
Par Nicolas CHEMIN


SYNOPSIS : Joshua Shapira est un tueur à gages. Il exécute son boulot sans états d'âme. Jusqu'au jour où son commanditaire exige un contrat a Brighton Beach, quartier des juifs russes appelé Little Odessa, où Joshua a passé son enfance.

....................................................................

OEDIPE FROID

La sortie du DVD aux éditions Opening, et notre récente rencontre avec Tim Roth à l’occasion des Rencontres Internationales du Forum des Images où le film fut projeté, fournit l'occasion de revenir sur le premier film de James Gray, qui traîne son élégance générique depuis quelques années sans susciter de trop vives affections. Cependant reconnu, Little Odessa semble devoir décupler le respect qu'il mérite à chaque vision...

  Little Odessa (c) D.R.

Un air d'opéra ouvre Little Odessa sur le gros plan d'un œil prédateur. Joshua s'élance, tire, et s'en retourne d'où il vient, d'un pas rapide. Instant fugace, froidement meurtrier, qui glace le lyrisme musical et condamne la violence imagée. Brighton Beach, ghetto juif russe de New-York, saison blanche et sèche. Les haleines sont vaporeuses, les trottoirs salis d'une neige boueuse, les gens vêtus de costumes défraîchis. La grisaille domine d'entrée ce film noir qui emprunte ses codes à la tragédie.

Le générique met fin au prologue. son titrage s'inscrit sur le fade chrome d'une rame de métro, présageant un itinéraire de retour de l'ange déchu. Joshua retrouve le quartier de son enfance pour l'exécution d'un " contrat ". Devenu tueur, il a jadis été banni par son père et contraint à l'exil par le meurtre du fils d'un tsar de la mafia locale. Le retour comble l'écart creusé et inverse le mouvement. Tout dans Little Odessa obéit à cette oscillation, véritable valse de l'entre-deux. Elle se danse en couple mais est reprise en chœur. Fusion du film noir et de la tragédie qui convergent en un dramatique point de rupture, la mort d'un frère innocent. James Gray exprime ici une dimension mythique du rapport père-fils, véritable Œdipe tortueux. Joshua reçoit le ceinturon en guise de présent de retrouvailles. Il répond par l'humiliation, meurtre avorté de son géniteur. La mise en scène aiguille le spectateur vers la lecture symbolique: elle privilégie le champ ouvert aux lieux fermés et fuit la coupe pour le continu. Les cadrages soulignent l'épopée que la grandiloquence musicale de l'opéra avait engendré dès le plan initial. Little Odessa ne charcute pas son espace: peu de gros plans ou de plans moyens, mais un amour pictural pour le plan d'ensemble. On se souvient longtemps de cette scène filmée de loin, où le pitoyable père adultérin et violent gît prostré aux pieds de sa progéniture à la moralité pas plus reluisante. Le point de vue aérien, quasiment déique, minimise ses personnages au beau milieu d'un champ de neige, souillé par des herbes tenaces. La blancheur ainsi maculée, le symbole est fort et ne renvoie pas seulement à la tragédie. Jamais moralisatrice mais en permanence doublée d'un regard froidement inquisiteur, la focalisation externe trouve son paroxysme dans le plan précédemment décrit et immisce une présence religieuse sinon théologique. Joshua incinère les corps de ses victimes en une grinçante métaphore...