|
|
|
|
Dans ce magma, les acteurs
prennent la place qu’on veut bien leur donner, elle est réduite.
Les personnages d’Under Suspicion ont du mal à exister.
Plus que des êtres humains, ils sont des fonctions : le policier
acharné, l’avocat pervers et la femme fatale. On est aux Etats-Unis
et tout est plus grand que sur le vieux continent : les enjeux,
les ennuis et les voitures. Non seulement le suspect est un
notable mais de plus il doit offrir une somme importante à
une oeuvre de charité, on l’a mis en garde à vue, mais il
devra quand même faire son discours devant les invités avant
d’être ramené au commissariat. Ses problèmes conjugaux s’ajoutent
à un goût prononcé pour les lolitas, les prostituées de bidonville
et la pornographie. Tous les ingrédients présents dans Garde
à vue sont exacerbés, rendus détestables par une surenchère
de violence et de sordide, au point de prendre l’aval sur
les personnages. Ils ne sont plus des êtres de chair et de
sang, mais des fonctions, des symboles qui s’affrontent dans
une géométrie calculée et inhumaine : d’un côté la justice,
de l’autre le sexe interdit, le viol et le meurtre soigneusement
enveloppés dans un paquet-cadeau. Dans Garde à vue,
Maître Martineau remarque tristement à ce propos : « Evidemment,
c’est plus facile à dire comme ça que de raconter une histoire
d’amour... ». Une réplique disparue de la version américaine
et sans doute plus ou moins remplacée par la grande tirade
de Henry Hearst sur les raisons pour lesquelles les hommes
préfèrent la chair fraîche. L’identification est rendue difficile
par cette distance constante et leur humanité quasi inexistante.
Symptôme de ce malaise,
le personnage insupportable et peu crédible de Henry Hearst.
Le fait qu’il soit présenté comme très puissant rend irréaliste
la façon dont il se laisse prendre au piège. Pour justifier
le fait qu’il ne parte pas, le/les scénaristes lui ont inventé
une relation amicale avec le capitaine Benezet qui contrebalance
mollement ses autres obligations. À force de vouloir donner
plus de force à l’action, les scénaristes ont mis en évidence
le fait que le scénario d’Audiard obéit à une subtile mécanique.
Si dans Garde à vue Martineau accepte de passer son
réveillon au commissariat, c’est qu’il na devant lui qu’une
longue soirée de réception solitaire, sa femme n’ayant pas
daigné l’accompagner. C’est ce besoin désespéré de compagnie
qui attire le personnage de Serrault dans le bureau de Gallien
où il discute, fait son numéro, jusqu’à ce qu’il ne soit plus
question de rire. Le policier ramène sans cesse le drame humain
sur le terrain de la justice. Imperméable à toute tentative
de complicité et d’humour, têtu comme un bouledogue et droit
comme la justice. Cette attitude éclate notamment dans ces
répliques de Michel Audiard :
Gallien
- Vous êtes marié ?
Martineau - Oui.
Gallien - Sans enfants ?
Martineau - Sans enfants...
Gallien - Pourquoi ? Ça fait des saletés
?
Martineau - Je n’ai pas d’enfants parce que
ma femme ne veut... parce que ma femme ne peut pas en avoir.
Gallien - Elle ne peut pas ou elle ne veut
pas ?
Martineau - A partir du moment où elle peut
pas...
Gallien - Vous pourriez en adopter. Vous
promenez bien le chien des autres.
Martineau - Ca c’est d’un tact et d’une élégance...
Gallien - Et ça, bordel de merde ! (il abat
la photo d’un des cadavres sous le nez de Martineau) C’est
élégant ça ?! »
|
|
|
|
Ce dialogue a été conservé
dans Under Suspicion, comme la plupart des répliques
qui possédaient un potentiel dramatique immédiat. Car c’est
de cela que semble se nourrir le scénario américain, avec
des répliques du style : «Si le fait d’avoir un mariage difficile
fait de moi un meurtrier, vous seriez tueur en série.» qui
semblent uniquement taillées pour donner du poids à la bande-annonce.
Car là où le scénario français s’appuyait sur des «presque
rien», de subtiles changements de ton, Under Suspicion
cherche dans ce drame intérieur une sorte de d’équivalent
à The Cell, un voyage plein d’action et de surprise
dans l’esprit d’un tueur en série. Comme dans l’original,
le film se clôt sur le regard du policier qui sert de vecteur
au spectateur, mais le voyage n’a pas eu lieu.
|