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Objectif Cinéma (c) D.R.

Si pour Garde à vue, Claude Miller reconnaît avoir voulu faire un film sur des visages, son homologue américain a choisi de privilégier les images que les personnages évoquent. Cet antagonisme résume à lui seul une grande partie des différences entre les deux films : rythme du scénario, importance des personnages, choix de montage, etc.

Claude Miller conscient qu’il met en scène un scénario très théâtral (d’ailleurs adapté en pièce de théâtre) met en place une stratégie qui vise à donner toute sa force à cette matière première riche et contraignante. Ainsi le respect de la règle des trois unités (Lieu, Temps, Action) l’amène à faire le choix d‘un décor clos, voire claustrophobique, et des scènes extérieures réduites à la portion congrue. Le tournage se déroulera chronologiquement si bien que la progression de l’histoire peut se permettre une grande subtilité dans les paliers successifs qui rythment la montée de la tension. Ces choix contribuent à concentrer le film au présent où les évènements extérieurs n’ont d’importance que parce qu’ils contribuent à accentuer la pression sur les personnages.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Au contraire Under Suspicion fonctionne par une opposition constante entre les personnages et ce qu’ils racontent, entre leur présence et les images. Les personnages ont, grâce au cinéma, un véritable don d’ubiquité et le scénario joue sans cesse sur les raccords entre fictif et réel. Under Suspicion est la traversée du miroir des apparences, miroir matérialisé par une vitre derrière laquelle suspects et témoins vont défiler. Ce dédoublement perpétuel, entre le personnage et l’histoire qu’il raconte mais également le va-et-vient entre les deux pièces, entre celui qui voit et l’autre, pris au piège du regard, que l’on observe comme un poisson dans un aquarium. La claustrophobie est toujours présente dans cette histoire où la peur de l’erreur judiciaire est sous-jacente (comme le dit Maître Martineau : « on cesse d’être en sécurité dès qu’on passe la porte d’un commissariat »).

Ici, ce qui existait de manière diffuse quoique claire dans Garde à vue est « spectaculaire » comme pour un reality show (votre conjoint, ami est dans la pièce à côté, il/elle ne peut pas nous entendre, parlez-nous de lui/elle). Under Suspicion insiste sur le dispositif. Les personnages dans un film comme dans l’autre jouent : avec leur personnage social et leur personne privée, deux facettes de leur personnage. Non seulement les flash-back peuvent être faux, mais de plus ils se modifient au fur et à mesure de leur évocation. Ce jeu sur les images, amorcé dans Garde à vue, avec une image de phare, muette, indice de mensonge, est poussé à son paroxysme dans le remake, avec des images qui ne concordent pas et des souvenirs qui ne cessent de changer. Ce jeu sur l’apparence et le mensonge, au centre des deux films, prend deux formes complètement différentes. Dans Garde à vue, les personnages semblent en représentation constante, dans Under Suspicion, il s’agit non pas de les observer mais de pénétrer dans leur esprit. De l’influence du théâtre, on est passé à celle du clip avec des effets de caméras appuyés, des enchaînements brutaux et une musique quasi omniprésente. Le clip est passé par là, la profession de profiler aussi dont on se demande parfois en regardant les films américains si elle na pas été créée par/pour le cinéma. Condition sine qua non pour comprendre les motivations du meurtrier et donc le crime, la caméra subjective qui se faufile partout, entre chemins écartés et favelas, pour coller au plus près à la respiration haletante du «coupable».