Voilà encore une collection
de vignettes Panini prêtes à consommer, aussitôt collées et
immédiatement oubliées. On se fout royalement des personnages
de cette comédie de mœurs cul-de-jatte menottée par son propre
dispositif d'inertie. Ça cause, ça bavasse, ça aligne des
interrogations caractérisées par leur embonpoint. Et ça rassure
le bon peuple heureux d'avoir assisté à tant de déchéances
et de frustrations cabossées (et à l'occasion au strip
tease de l'agent ciné le plus célèbre de la place parisienne).
Le processus d'identification carbure à plein régime. "Monsieur
contre Madame" de Claudine Bories, quant à lui, nous
fait avancer sur des échardes, un tapis de braises et de tessons
rassemblés dans un même corpus de responsabilité, de responsabilisation.
Alors que "ça ira mieux demain" caresse les moutons
dans le sens de la laine suggérant de rester les bras ballants
et, puisque tout est foutu d'avance, de passer ses après-midis
ringards à dévaliser le rayon bricolage du BHV, la tragédie
intrinsèquement racinienne mise en scène, en images, par le
séditieux "Monsieur contre Madame" prend les futurs
parents que nous sommes, ou que nous ne serons certainement
pas, par le colbac et à témoin des ravages odieux et indignes
que la sagesse écaillée de certains adultes auto-proclamés,
infantilisés et déchus infligent à leurs gosses, chairs de
leur chair, résultats d'une union soi-disant parfaite, et
victimes prématurées d'une société cancérigène, cancéreuse.
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Boriès tape du poing sur la table, apostrophe
la fonction même de l'enfant dans notre écosystème transpercé
par des lois que nous avons tous du mal à accepter qu'elles
soient publiquement promulguées ou tacites. Cette juxtaposition
éloquente de situations pathétiques - gamins de marbre ou
chialant en étau entre un père et une mère incapables de converser,
de se comprendre - ne nous étrangle pas, sa structure est
on ne peut plus rusée et habile car laissant à l'atelier les
outils classiques de la compassion, de la culpabilisation.
"Monsieur contre Madame" n'est pas fataliste, ne
ploie pas devant la stratégie douteuse du conditionnement.
C'est une oeuvre profondément citoyenne d'utilité publique
faisant grincer bien des molaires génitrices, qui invective,
sans sortir le fouet, le relief de nos convictions, redessine
l'Atlas érodé d'un pacte passé avec la norme. "Les parents
font toujours des erreurs", a-t-on entendu en novembre
dernier lors d'un talk-show tévé lobotom'. Il y a dans cette
phrase l'adverbe "toujours", trace syntaxico-génétique
radicale de la banalisation de la capitulation, autrement
dit une prise de pouvoir d'une gamberge s'adonnant au saut
à l'élastique et se fracassant le crâne contre un amas de
roches que la force motrice qui l'active n'avait pas voulu
voir. `
C'est cette réflexion en
berne, endeuillée de son aptitude au discernement, que le
travail déictique, et non dénonciateur, de la documentariste
examine. Une méditation essuyant les plâtres de nouvelles
expérimentations artistiques et politiques. Dans son analyse
en creux de l'interaction entre parents playstationnisés
sans talent et têtes blondes touchantes de solitude, Bories
réclame, en arrière-fond, une réhabilitation de l'intellectualisation.
Le titre de l'étude, lampadaire hypocoristique, illumine l'axe
puéril circonstanciel de l'affaire : Monsieur contre Madame,
relookage malheureux du récréatif "gendarmes et voleurs".
On a envie de hurler, de brailler devant un tel carnage. Un
enfant, qui n'a rien demandé, n'est pas un gadget, un scope
acheté chez Darty, un forfait de téléphonie mobile, un gadget
prêt à fonctionner le 1er janvier 2000. L'ère de la consommation
aurait-elle tout réifié, à commencer par l'être humain ? On
peut se gratter l'occiput mais ne pas rejeter cette légère
réprimande que Bories orchestre en sous-sol, et se laisser
volontiers tenter par ce qui configure peut-être un nouvel
émolument cinématographique : la prise de conscience d'une
déliquescence comme revers de la carte illimitée. ça sévira
certainement mieux demain !
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