Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Fritz Lang (c) D.R. L'ECRAN CHEZ FRITZ LANG
Par Gilles LYON-CAEN


Retour sur l'oeuvre de Fritz Lang à l'occasion de la sortie, chez Opening Edition, d'un coffret triple DVD, dans lequel, en plus des films M. le maudit et Le Testament du Dr. Mabuse, vous pouvez découvrir dans un troisième DVD dédié aux bonus, le documentaire Fritz Lang le cercle du destin de Jorge Dana (55 min), l'analyse de M le Maudit Image par image par Radha-Rajen Jaganathen (40 min), l'entretien avec Noël Simsolo et Alfred Eibel (réalisation Dreamlight) et les décors de Emil Hasler.

....................................................................

L'écran pose doublement problème chez Fritz Lang. D'abord, il peut se définir par un enchaînement de plans inclus dans une forme ou un motif, sans jamais faire apparaître de projection, ni d'écran au sens premier. Ensuite, il fait part d'une dualité complexe, il faut parcourir son opacité intérieure (du derrière), sans omettre sa réflexion (au devant) de l'image. Que révèle l'écran : exhibe-t-il autant la projection de l'image que sa capture ? Faire également le voyage réflexif des écrans de contrôle au « cerveau-écran », pour reprendre l'expression de Gilles Deleuze, permet de différencier les raccords de plan et ceux d'ordre sémantique; afin de synthétiser les stades terminaux de l'image, de la pulsion humaine au règne de l'image par l'écran,ou inversement, de la puissance acquise par l'écran de contrôle aux sens psychiques qui en résultent.

  Le Testament du Dr Mabuse (c) D.R.

L'écran ne renferme pas une image close mais souvent une image exhibant un agencement de plans. Dans Le Testament du Dr Mabuse, la photo d'identité devient écran avec image animée, écran en abyme dans l'écran initial, mettant fin à la fixité du moment et délivrant le mouvement arrêté dans l'image photographique. Le passage de l'image fixe à l'image en mouvement s'effectue d'une photo en insert (fixité) à un devenir-personnage acquis par l'écran (qui délivre le mouvement). L'écran permet le raccord filmique en joignant l'arrêt sur image, la photo arrêtée, au mouvement même de l'homme photographié. L'écran assure alors l'intervalle invisible, le battement des plans (la scansion) au sein ici d'un montage hybride alliant photographie et plan mouvant de cinéma.

Aussi, l'écran n'est pas une surface ouverte mais une suite d'images-écrans (de cadres ou de portraits) agencée en fondus enchaînés. Ce qui est incrusté dans l'écran (l'image d’un tableau provenant de Dellarowe Galleries) naît par une succession de fondus enchaînés. Dans La Rue rouge, Chris Cross regarde un prospectus dune galerie d'art : les tableaux se suivent et se superposent, le prospectus faisant écran en opérant par fondu et en raccordant les tableaux dans un montage serré de plans fixes. Tel système délivré par le prospectus, sert d'écran par le défilement des tableaux ; il fait également le travail des raccords en lieu et place de Chris Cross.

La 5e Victime (c) D.R.

Mais « nous savons depuis André Bazin que l'écran de cinéma ne fonctionne pas comme le cadre d’un tableau, mais comme «un cache qui ne montre qu'une partie de l'événement.» [1] Dans le prospectus comme dans l'esprit de Chris Cross, le portrait qui faisait écran l'a aveuglé. Auparavant, écran impliquait « protection ». A la fin du film, « ce n'est pas un mur, un tableau » qui lui révèle par « transparence » sa duperie, mais finalement une « surface opaque » derrière laquelle « le réel afflue », [2] derrière une vitre-écran lui révélant toute l’illusion de son amour passé.

Par ailleurs, l'écran renferme un danger qu'exhibe l'image. Au début de La Cinquième victime, émerge un raccord entre le voyant et le support, l'écran, qui acquiert ici un statut mortel. Kyne, responsable du célèbre consortium Amos Kyne, regarde la télévision qui diffuse un de ses propres programmes, lorsqu'il meurt soudainement, emporté par une crise cardiaque. Il meurt à la naissance de l'image : l'écran sert de miroir du pouvoir, reflet nuisible d'une réussite apparente, rendue caduque par la représentation médiatique. Tel message fait l'objet d'une représentation et d'une interception mortelles dans la capture spectatorielle (Kyne) de l'image. « Tout message fait l'objet d'une interception mortelle, tout message est un message de mort » [3]. Qu'est-ce qui est mortel : le pouvoir de l'écran (par réflexion), l'image elle-même ou sa capture ? La projection est-elle généralement obstruée par une interception du regard ?