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  Diabolique Dr Mabuse (c) D.R.

Dans sa critique du Diabolique Docteur Mabuse, Jean Douchet explique la maîtrise de l'image de Mabuse par sa maîtrise de l'espace et du monde : « Mabuse veut ramener tout à lui, organiser le monde à sa convenance, connaître, donc être maître des mouvements qui le composent, pénétrer le secret des âmes et, par conséquent, disposer de ces véhicules que sont les corps. » [4]. De la pulsion scopique obsessionnelle à la voyance qu'elle motive et génère, le monde de Mabuse vit sous le règne de l'image et des écrans de contrôle. Comme l'annonce le générique, une multitude d'yeux mouvants grands ouverts dans le ciel (tandis que défile le générique), Le Diabolique Docteur Mabuse est traversé par le motif de l’œil, intimement lié à son support, l'écran. Emmuré dans sa pièce secrète, au sein de sa forteresse-repaire, l'immense hôtel Louxor saturé d'écrans, il espionne, disposant ainsi des « mille yeux » (Les mille yeux étant le titre original) de la technologie futuriste. Mais le raccord invisible peut se substituer au raccord classique, comme le raccord mortel dans La Cinquième victime, entre le médium, l’écran et le voyant. Le passage s’effectue par un raccord invisible, au commencement du Diabolique Docteur Mabuse, lors d'une discussion, un travelling arrière révélant la surveillance d'un oeil étranger. La discussion apparemment normale devient scène de discussion, lorsqu'est mis en avant l'écran de contrôle. La monstration de l'image par l'écran traduit, régule le passage d'une discussion anonyme à une discussion filmée. Avec un léger travelling avant intra-image qui nous replace dans l'intimité de la scène, la mise en abyme de l'écran s'effectue par le dispositif de vidéo surveillance. En abyme également par le retour au format initial, la position spectatorielle.

Le passage des images, la dialectique du derrière au devant de l'image, est alors conditionnée par l'écran télévisé. « Une subtile progression des cadrages ainsi qu'une rigoureuse utilisation des objets en amorce (micro, caméra, téléviseur) enchaînent le lieu d'enregistrement (le studio de télévision) au lieu de diffusion (l'assassin devant le poste). Par un jeu de substitution entre la caméra et le téléviseur, Lang montre la façon dont un visage et une voix s'adressent directement au spectateur, créant un espace dont l'unicité virtuelle serait tracée par l'effet de décloisonnement que produit la rhétorique du champ-contrechamp ». [5] Dans l'enchaînement systématique des plans télévisés, l'écran sert de lien et liant : il devient pur raccord entre le locuteur et le destinataire, entre l'informateur, en action et l'informé, réceptif. Le policier s'empare du regard-caméra, une des règles du dispositif télévisuel, pour effectuer son interpellation. Passé le signalement, transcrit par la parole, l'inculpation commence par l'écran, médium de l'image permettant le passage des images.

Fritz Lang (c) D.R.

Ainsi lécran de vidéo fait-il le travail du raccord filmique, dans La Cinquième victime comme dans Le Diabolique Docteur Mabuse. Dans ce dernier, le plan en plongée d’un homme traversant un couloir mime la vue d'une caméra de vidéo surveillance. Impression de haute-surveillance confirmée par la reprise du travelling arrière, l'homme est bien observé. Le cadre de l'écran n'est pas visible clairement : il s'apparente par sa forme convexe, à la vision oculaire de Mabuse.

Or dans un entretien donné aux Cahiers du cinéma, en février 1986 (n° 380) Gilles Deleuze explique que «Le cerveau, c'est l'écran ». « Le cerveau, c'est ça l'unité. Le cerveau, c'est l'écran » [6] : si l'expression ne s'applique pas à l'exercice analytique (mais à une approche plus biologique du mouvement de l'esprit et de l'idée en cinéma), elle peut clairement synthétiser le canevas métaphorique d'une caméra oculaire, induisant la surveillance opérée et personnifiée par Mabuse. Celui-ci est à lui seul un organe de haute-surveillance, le cerveau régissant les mille yeux ou stimuli des écrans. Aussi, la scène où il se fait passer pour Cornélius, un aveugle, laisse augurer son statut de voyant, voyant par l'image et l'écran, et par ses prémonitions. Oeil froid et méphistophélique qui formate l'image, par l'écran mécanique et démiurgique de la télévision. Le cerveau de Mabuse serait donc l'écran (au sens psychique), les écrans seraient alors ses yeux (au sens technique).